le printemps religieux en Afrique

Dans ce continent de religiosité  qu’est l’Afrique  on note depuis  la fin des années 1980 un incontestable renouveau  religieux . Jusqu’à présent, la religion ne faisait pas l’objet d’une recherche et d’un engagement si populaires. Elle était naturellement intégrée dans son milieu culturel et n’avait pas besoin de le prouver et de séduire. Or elle revêt depuis  deux décennies un caractère spectaculaire et de nouvelles caractéristiques.

                                         La prolifération des Eglises

Il y a tout d’abord une effervescence toute particulière autour du religieux, qui se caractérise  par son invasion stratégique de la ville. Les centres urbains et, au premier chef, les capitales, sont devenus le terrain privilégié des « entreprises » religieuses et le lieu d’expérimentation de toutes leurs initiatives.

On remarque aussi l’émergence et la prolifération de nouveaux groupes et d’Églises indépendantes au sein et en marge des tendances religieuses traditionnelles, avec un effet stimulant  vis-à-vis de ces dernières. Les religions établies ont dû développer de nouvelles stratégies pour faire face à .à ce phénomène d’expansion spirituelle

Le dynamisme religieux contemporain se manifeste en outre sous la forme d’une mutation du religieux pour s’adapter au nouvel environnement politique, économique et social. L’investissement massif dans le social est à interpréter dans ce sens.

Enfin, la nouveauté religieuse se trouve dans la naissance d’une nouvelle vocation : la mission d’évangélisation. La « transnationalisation[1] » des entreprises religieuses, un phénomène récent, marque l’émergence des « nations missionnaires » et d’un flux religieux pour le moins brouillé dont les réseaux dominants ont leurs sources dans les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest et lusophones d’Afrique de l’Est.

Ce vaste mouvement s’accompagne de l’ouverture médiatique qui facilite la circulation internationale des produits et des agents religieux ainsi que des ressources symboliques. Une multitude de radios et de chaînes de télévisions confessionnelles ont ainsi été créées pour relayer jour et nuit discours et séances d’évangélisation, de prières et de guérison, alors que CD Rom et cassettes audio et vidéo sont distribués ou vendus pour assurer l’approfondissement de l’enseignement.

Ce phénomène est diversement interprété et apprécié. Beaucoup le considèrent assez négativement. . je me demande si l’on ne peut pas le lire autrement, à partir d’un double regard, philosophique et sociologique. Ce grand ballet religieux ne se limite pas au christianisme. Deux composantes principales méritent d’être soulignées : la première, extérieure, englobe le phénomène, la seconde est un facteur endogène.

L’importation des Eglises

 Relevons d’abord un certain activisme religieux contemporain  qui résulte de l’intensification de la mondialisation. La fin des années 1980 et le début des années 1990 marquent en effet l’importation des Églises indépendantes de type pentecôtiste et charismatique[2] venues conjointement des États-Unis d’Amérique et du Brésil. Elles ont pris position dans certains pays anglophones de l’Afrique de l’Ouest pour les uns, et dans les pays lusophones de l’Afrique de l’Est pour les autres. Le Brésil exporte en effet son pentecôtisme chez ses voisins et en Europe, en Asie et en Afrique où il est entré naturellement par les pays lusophones, l’Angola, le Mozambique, pour s’étendre à toute l’Afrique du Sud, puis à l’Afrique orientale (Kenya, Ouganda), à l’Afrique équatoriale (Congo, Gabon) et depuis près de dix ans à l’Afrique de l’Ouest (Côte-d’Ivoire, Ghana). Le pentecôtisme qui vient directement des États-Unis et de la Grande Bretagne transite par les pays anglophones (notamment le Nigéria et le Ghana, en Afrique de l’Ouest) où il s’acclimate[3] avant de gagner les pays francophones voisins[4].

Le champ islamo-africain

C’est également le cas d’un « islam nouveau » qui se veut « pur » en prétendant effectuer un retour aux sources. Tout en conservant son image de « religion africaine », offrant par le biais de ses confréries un refuge aux identités locales et par ses marabouts la solution à bien des problèmes. A l’initiative de nouvelles élites intellectuelles (nouveaux entrepreneurs ou jeunes prédicateurs),le champ « islamo-africaniste » dans sa version réformiste s’approprie désormais les formes les plus professionnelles et les plus médiatiques du prosélytisme religieux. Or ces jeunes qui ont étudié pour la plupart en Arabie Saoudite ou au Koweït, tentent de réactiver la source wahhabite. La mission de ces nations mères de l’islam serait-elle de faire de l’Afrique une terre « fidèle » ? Toujours est-il que l’Afrique noire est l’une des cibles privilégiées de la Da’wa[5] saoudienne orientée vers le monde entier.

Les comparaisons entre les formes de prosélytisme missionnaire et les stratégies d’entreprise observables sur les développements de l’islam et du christianisme en Afrique .montrent que la guerre déclarée entre les États-Unis et le monde arabe prend une forme énergique sur le terrain religieux africain. Le renouveau de l’Islam et sa progression manifeste au sud du Sahara ne peuvent être séparés de l’effervescence qui règne dans les Églises de Réveil et de la montée de la mouvance néo-chrétienne évangélique et pentecôtiste.

Les nouveaux prophètes

Un autre aspect visible de cette globalisation du religieux touche les déplacements internationaux des prophètes et guérisseurs (et de leur public) qui se sont intensifiés, créant des liens régionaux, voire mondiaux entre les experts religieux et leur clientèle. Ruth Marshall-Fratani et Didier Péclard (2002) citent deux cas significatifs. Le premier n’est autre que le  prophète-guérisseur nigérian T. B. Joshua qui reçoit au Nigeria des malades venant de différents pays européens (et pas uniquement), issus de la diaspora africaine. Le deuxième est Kakou Séverin, le prophète ivoirien « nouveau style » qui multiplie les voyages à travers l’Afrique et le monde. On peut citer également le cas de Peter Petronus de l’Afrique du Sud qui se sent investi d’une mission de propagation de l’évangile et d’un appel populaire à la conversion. Dans un véritable chassé-croisé, les villes africaines (Abidjan, Accra, Lagos, Douala, Lomé ou Libreville) deviennent les terres de mission et de croisades de pasteurs d’Églises pentecôtistes américaines, brésiliennes ou coréennes (Corten, Mary, 2001).

L’Afrique exporte la spiritualité

Cette transnationalisation des groupements culturels et des réseaux religieux ne fonctionne pas en sens unique puisque l’Afrique exporte à son tour vers l’Occident un christianisme africanisé très apprécié.  Certaines Églises d’expression africaine de type messianique ou prophétique basées sur un syncrétisme doctrinal et pratique, puisant dans un fond chrétien divers (méthodiste, évangélique, pentecôtiste, charismatique, baptiste…) intégrant des réalités culturelles locales, se « vendent » bien en Europe et Outre-Atlantique. Parmi les plus visibles dans les pays du Nord on distingue les communautés issues de l’enseignement du prophète William Wade Harris Wury, l’Église du Christianisme céleste, et l’Église de Pentecôte du Ghana. On peut évoquer la même situation à propos des Mourides du Sénégal du côté musulman. On peut évoquer enfin la visibilité accrue des religions traditionnelles qui se décomplexent de plus en plus, n’hésitant plus à utiliser les moyens modernes de communication et à construire un discours intellectuel, investissant les centres urbains alors qu’on les assimile volontiers à la ruralité. La globalisation du religieux, la circulation internationale des ressources culturelles et symboliques et la connexion aux réseaux divers ne profitent pas qu’aux nations missionnaires occidentales. Il n’est donc pas possible de penser la situation religieuse contemporaine en Afrique sans cet entrelacs d’enjeux qui dépassent les seules sociétés africaines.

Les métamorphoses du religieux

Cela n’invalide pas pour autant, mais corrige, les raisons habituellement avancées, à savoir, la pauvreté et le recours au surnaturel pour trouver des solutions aux problèmes qui, eux, sont bien réels, c’est-à-dire sociaux. Une certaine sociologie religieuse marxisante trouve en effet l’origine du regain de religiosité qu’on observe depuis la fin du XIXè siècle dans les difficultés existentielles qui découlent de  la déstructuration des États et de la dévalorisation du franc CFA survenues au début des années 1990. Ils soulignent aussi le rôle moteur des pandémies et de la détérioration du climat qui ont suscité un sentiment d’impuissance. Ces raisons socio-psychologiques renforceraient le sentiment de la fatalité chez l’individu et exacerberaient le besoin religieux. Plusieurs études monographiques traitant des causes de l’engouement des populations  énumèrent les raisons qui les font militer dans une institution religieuse : chômage, pauvreté, recherche d’un mieux-être professionnel, d’une guérison miraculeuse, d’un conjoint, etc.

Néanmoins cette approche privilégie les motivations des individus alors qu’il est difficile de décider de ce qui incline intérieurement vers le surnaturel. Si l’on va jusqu’au bout de cette logique, on devrait dire : l’Afrique est pauvre, donc elle est croyante. En partie vraie, cette raison est insuffisante pour expliquer ce regain contemporain de religiosité, alors que l’Afrique n’est pas plus pauvre aujourd’hui qu’hier, ce serait d’ailleurs plutôt le contraire. En surlignant le rôle fondamental des appareils du croire et les grands enjeux (sociopolitiques, culturels et économiques) internationaux qui sous-tendent leur fonctionnement, cela évite de « juger » l’engagement des croyants qui est de l’ordre du spirituel alors qu’il s’agit d’analyser la religiosité qui est de l’ordre du sociétal et de l’institutionnel.

Ce regard permet de mieux comprendre les métamorphoses du religieux induites par ce renouveau spirituel. Ces changements me semblent receler une richesse aussi bien pour la religion, ou la spiritualité, que pour la société. Confrontée à une société en mutation, la religion a intégré des changements dans son identité,dans sa stratégie de communication et dans ses activités. La religion moderne dans une Afrique moderne passe par la prise en compte de paramètres nouveaux dans les rapports à l’individu et à la société. Il s’agit de nouvelles attentes des populations : l’aspiration à la liberté, la démocratisation de l’autorité religieuse, l’apparition de nouveaux produits théologiques), et une nouvelle approche du sacré .plus dégagée des instituions religieuses classiques. Fait remarquable, les acteurs religieux se sont montrés précisément aptes  à intégrer des nouveautés et  à adopter les éléments les plus avancés de la civilisation moderne, alors qu’on croyait la religion tout juste capable de transmettre telle quelle la « tradition ». Gardienne de la mémoire collective et sociale, la religion semble se révéler aussi faiseuse d’histoire.

[1] Ce qu’on peut appeler la « transnationalisation » à l’africaine correspond à « l’expansion hors de ses frontières initiales d’une religion éventuellement née d’un syncrétisme local, ancrée dans un territoire de référence notamment par le biais de l’attachement à des lieux saints et marquée par certains traits originels de son identité ethno-nationale comme l’utilisation d’une langue ethnique sacralisée ». cf. Mary A. et Fourchard L., « Réveils religieux et nations missionnaires », in Fourchard L., Mary A. et Otayek R., Entreprise religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Ibadan/Paris IFRA-Karthala, 2005, (introduction).

[2] La « culture » charismatique faisant appel à la puissance immédiate de l’Esprit, fonctionne comme une culture globale travaillant l’intuition catholique, la mouvance néo-protestante aussi bien que les Églises prophétiques africaines, et tend à s’imposer partout comme référence absolue.

[3] Les Églises pentecôtistes du Nigéria ou du Ghana, toutes d’origine américano-britannique, le montrent bien : après une première période d’implantation locale et nationale (années 1950 – années1970) succèdent depuis les années 1980, des stratégies transnationales, régionales, continentales ou mondiales en fonction d’impératifs propres à chaque dénomination.

[4] Voir entre autres, Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Fourchard L., Mary A. et Otayek R. (dir.), Ibadan-Paris, IFRA-Karthala, 2005, 537 p.

[5] Littéralement « Appel à l’islam », c’est quelque peu l’équivalent d’évangélisation. Il traduit en tout état de cause l’expansionnisme de l’islam.

Étienne L. DAMOME (Afiavimag)

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