Le grand complexe abrite des bâtiments peints de couleurs vives. Les patients qui attendent leur tour sont assis en silence sur des bancs en bois alignés dans des couloirs ouverts. Des mères avec des nouveau-nés et des enfants plus âgés, des femmes âgées et un homme solitaire, intemporel et taciturne prêts à rencontrer les conseillers et le personnel médical.
On pourrait penser que ces patients souffrent des maladies régulières que l’on rencontrerait dans n’importe quel centre de santé du monde entier. Cependant, ils ont une histoire déchirante à raconter.
« Une nuit, des assaillants inconnus sont entrés dans mon village. À ce moment-là, j’étais juste à l’extérieur du village et j’ai pu me cacher mais je pouvais toujours voir ce qui se passait. Les assaillants ont tué mes enfants, ma femme et ils ont pillé tous nos biens. J’ai pu m’échapper et me réfugier à Bunia où j’ai reçu l’aide de mon fils pour monter une petite entreprise de pêche », a confié l’homme.
« J’ai croisé à nouveau la route des assaillants de mon village à Bunia au retour de la pêche. Ils m’ont enlevé et emmené dans leur camp. Là, ils m’ont forcé à violer deux femmes, chacune à tour de rôle, jour et nuit. Si je refusais, ils me menaçaient et me battaient », a-t-il dit.
« Nous avons passé quatre jours comme ça, les femmes et moi, sans avoir grand chose à manger. Un jour, mes ravisseurs m’ont envoyé chercher de l’eau dans la forêt. C’est à ce moment-là que j’ai réussi à m’échapper et à m’enfuir vers Bunia. Je n’ai pas retrouvé mon fils mais j’ai atteint le camp de personnes déplacées à Bunia. C’est là que j’habite maintenant et où j’ai appris le travail fait par la SOFEPADI ».
Le personnel du centre médical Karibuni Wa Mama (Bienvenue aux mères) aide à guérir de nombreuses blessures – physiques et psychologiques, et fait beaucoup dans la guérison des survivants. Le centre est géré par l’ONG Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral (SOFEPADI).
La SOFEPADI a été fondée il y a 20 ans par 24 femmes à Bunia, dans la province de l’Ituri, dans l’est de la RDC. Leur premier objectif était de faire campagne pour la paix et de promouvoir l’autonomisation des femmes et les droits humains L’ONG a rapidement ouvert une autre antenne à Beni, dans la province du Nord-Kivu, pour lutter contre l’impunité des violences sexuelles dans ces deux provinces de l’est du pays. Il y a 10 ans, la SOFEPADI a élargi ses activités à la prise en charge médicale des victimes de violences sexuelles et sexistes, une activité précédemment menée dans la région par une autre ONG Médecins sans frontières (MSF).
Une approche holistique de la guérison
Le personnel de la SOFEPADI a adopté une approche holistique pour guérir les survivants. Un médecin supervise les visites générales, la fourniture de la prophylaxie post-exposition au VIH (PPE) et des tests, et la planification familiale. Une autre unité fournit des soins psychosociaux pour faire face aux traumatismes et à la réadaptation des victimes, tandis qu’une autre offre une formation professionnelle aux survivants pour les aider à devenir financièrement autonomes.
« En raison de la situation actuelle en Ituri, nous travaillons avec les personnes déplacées à l’intérieur du pays. En 2019, nous avons traité 1.305 victimes de violences sexuelles. Parmi eux, la moitié étaient des personnes déplacées à l’intérieur du pays », a déclaré Noella Alifua, l’une des coordinatrices de la SOFEPADI.
« Nous allons sur le terrain avec nos cliniques mobiles et soignons les déplacés là où ils se sont retrouvés. Les victimes de violence sont la majorité de ceux que nous aidons. Nous les traitons gratuitement grâce aux fonds de nos partenaires. Notre centre ne génère pas suffisamment de revenus pour d’autres activités sur le terrain », a-t-elle ajouté.
La guerre civile en RDC a officiellement pris fin en 2003. Cependant, des poches de conflit persistent dans certaines régions du pays. En Ituri, les violences interethniques, qui ont éclaté en décembre 2017, ont fait des centaines de morts et de graves violations des droits humains, notamment des actes brutaux de violence sexuelle. Un demi-million de personnes ont été déplacées à travers l’Ituri et les provinces voisines. Près de 57.000 personnes ont trouvé refuge en Ouganda.
En janvier 2020, un rapport du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en RDC a détaillé la violence en Ituri, déclarant que ces abus peuvent constituer des « crimes contre l’humanité ». Dans une mise à jour publiée en mai, le Bureau a en outre signalé qu’entre le 1er octobre 2019 et le 31 mai 2020, des assaillants armés ont tué au moins 531 civils en Ituri. 375 d’entre eux ont été tués depuis mars, lorsque la violence a explosé.
Pour la SOFEPADI, l’insécurité est devenue une grande préoccupation, en particulier pour leurs cliniques mobiles qui atteignent les survivants dans les zones reculées. Noella Alifua a rappelé qu’une de ses équipes avait échappé de peu à une attaque à Mahagi, un territoire situé à 170 kilomètres au nord-est de Bunia.
« Ce qui est extrêmement préoccupant dans les zones de conflit, c’est que les femmes sont les plus touchées », a-t-elle déclaré.
Les premiers pas vers la justice
Récemment, la SOFEPADI a ajouté un nouveau segment à ses activités : fournir une aide juridique aux survivants et former les acteurs de la société civile sur les parties de la loi congolaise criminalisant la violence sexuelle ; ainsi que la sensibilisation des membres de l’appareil judiciaire à la violence sexuelle et sexiste.
« C’est facultatif; nous aidons seulement ceux qui veulent la justice. Nous couvrons tous les frais juridiques du début à la fin », a déclaré Noella Alifua. « Il peut y avoir des décisions de justice, mais les auteurs sont souvent des personnes qui n’ont pas les moyens de payer des réparations. C’est décourageant pour les victimes », a-t-elle reconnu.
Jusqu’à présent, la SOFEPADI a aidé à porter plus de 1.500 affaires contre des auteurs présumés devant les tribunaux. « Nous avons également obtenu des décisions, mais les réparations restent un problème », a-t-elle souligné.
Constatant que l’issue des affaires n’a pas toujours été favorable, certaines familles ont opté pour des règlements à l’amiable avec les auteurs.
Pour Gloria Malolo, spécialiste des droits humains au Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme à Bunia, les réparations apportent principalement aux victimes un sentiment de soulagement que le préjudice subi a été réparé, mais renforcent également la confiance de la population dans le système judiciaire.
« C’est le combat dans lequel le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme s’est engagé, car si une victime vous dit qu’elle n’a aucun intérêt à aller devant le tribunal parce qu’elle sait que le préjudice qu’elle a subi ne sera pas réparé, vous pouvez dire dès le départ que la victime ne sera pas intéressée », a-t-elle dit.
« Et cela représente un obstacle dans tout un système qui irait normalement dans la direction où la victime pourrait récupérer tout ce qu’elle a perdu – moralement ou physiquement – et sentir qu’elle a obtenu réparation pour ce qu’elle a enduré ».
À Bunia, le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme appuie la justice dans la lutte contre les violences sexuelles en fournissant des fonds pour soutenir les enquetes et tribunaux mobiles et en fournissant une protection des victimes et des témoins afin qu’ils puissent participer aux procédures en toute sécurité.
L’appui du Bureau conjoint des Nations Unies dans la lutte contre l’impunité ne s’arrête pas avec les prononcés de jugements. Il demande également aux tribunaux et aux acteurs concernés de rechercher toutes les autres voies de recours juridiques possibles lorsque les auteurs ne sont pas en mesure de payer des réparations financières.
Dans cette lutte contre l’impunité, la SOFEPADI fait partie des premiers points d’entrée pour les victimes qui demandent justice. Dans le but de découvrir la vérité, le personnel de Karibuni Wa Mama collecte des données médicales pour renforcer les affaires déposées auprès des tribunaux.
« Les victimes commencent à la SOFEPADI. Ils racontent les faits de leur calvaire et apportent des éléments qui permettent à la SOFEPADI de commencer à les gérer en tant que patients. Lorsque les victimes arrivent avec les marques de leurs blessures, la SOFEPADI est en mesure de délivrer des certificats médicaux et de prendre des photos qui pourraient aider à découvrir la vérité », a souligné Gloria Malolo.
« Le tribunal militaire ou civil utilisera alors ces éléments pour découvrir la vérité, puisque les magistrats n’auront l’occasion d’écouter les victimes que des mois après les événements », a-t-elle ajouté.
«Les traces auraient disparu, même lorsqu’il s’agit de viol, les blessures auraient guéri. Mais tous les éléments rassemblés par la SOFEPADI, déjà au niveau du premier contact, permettront au juge ou au magistrat de savoir ce qui s’est passé.
SOURCE Centre d’actualités de l’ONU