Le 1er novembre 1755 un terrible tremblement de terre ravage le centre de Lisbonne. Outre les incendies qui s’y ajoutent, la terre s’entrouvre et le fleuve riverain, le Tage, s’y engouffre. Les prisonniers s’échappent des prisons écroulées… C’est alors qu’entre en scène le marquis de Pombal. Il refermera les blessures de la ville éventrée en installant une modernité triomphante et durable dans la métropole portugaise. D’autres villes ne revivront plus jamais leur splendeur qui sentait la débauche et le péché, telles Pompéi réduite en cendres par le Vésuve le 24 août de l’an 79 dans la Rome Antique ou la ville de Saint-Pierre en Martinique complètement grillée par l’éruption de la Montagne Pelée le 8 mai 1902. La ville d’Agadir rasée par un séisme le 29 février 1960 à la fin du règne de Mohamed V au Maroc renaîtra de ses cendres.
Tremblements de terre, volcans ravageurs, inondations dévastatrices fonctionnent parfois comme de grands défis lancés aux villes en ruines : ce n’est plus « être ou ne pas être » mais « disparaître ou renaître ». Le 12 janvier 2010 la terre entre dans une transe sauvage et meurtrière dans la ville de Port-au-Prince, parfois méchamment connue sous le nom de Port-aux-Crimes. Quel sera le destin de la ville martyre ?
Mais la catastrophe a été aggravée par un demi-siècle d’anarchie administrative à partir de la dictature obscurantiste et prédatrice des Duvalier, suivie du populisme démagogique du père Aristide, sans compter quelques gouvernements militaires éphémères. Citons sept carences chroniques et catastrophiques : pas d’aménagement du territoire, pas de gestion de la démographie, pas de mesures de prévention de risques, pas de vraies infrastructures, pas de vraie sécurité, pas de préservation de l’environnement, pas de vraie fiscalité et de lutte contre la corruption. Ne parlons pas de la bétonisation sauvage en matière de construction. Une catastrophe spectaculaire peut en cacher beaucoup d’autres, banalisées, quasiment normalisées, à moins qu’elle ne les révèle…
Les catastrophes sont l’occasion de voir comment un Etat organise et contrôle son espace. C’est le moment de savoir quelle est sa capacité à intervenir sur son propre territoire et à entreprendre la reconstruction. Malgré la dimension tragique de ce tremblement de terre, peut-être qu’il est porteur d’avenir. Peut-être qu’il enterrera un demi-siècle d’anarchie administrative pour laisser émerger une nouvelle république.
Rafael Lucas (Afiavimag)