Le problème de la piraterie somalienne me fait penser à deux proverbes haïtiens : « la démarche tranquille du chat ne nous informe pas sur sa cruauté envers les rats » (Jan chat mache se pa konsa l kenbe rat), « tous les animaux de la mer sont des mangeurs d’homme mais c’est le requin qui a la mauvaise réputation » (tout bèt nan lanmè manje moun men se reken k pot move non). Autrement dit, derrière les images que l’on choisit de nous montrer d’un phénomène, il y a d’autres images non visibles, ou occultées, qui permettraient de mieux comprendre certaines réalités très complexes.
Derrière l’image de pirates somaliens qui figure désormais sur l’étagère des idées reçues, il y a d’énormes bateaux de pêche industrielle qui ont ratissé les eaux poissonneuses du littoral somalien, sous forme de razzia de thon, de raie et du homard, condamnant ainsi au chômage des milliers de pêcheurs somaliens, dont beaucoup se retrouvent dans l’économie sauvagerie de la piraterie. En fait, une économie sauvage masquée (celle d’une pêche industrielle dévastatrice) en cache une autre qui apparaît de manière spectaculaire dans les medias. Comme on le verra dans l’article du chercheur américain Portia Lewis (Bordeaux-4), la FAO a déjà recensé plus de 700 bateaux étrangers pillant les réserves poissonneuses de la côte somalienne. A ce pillage il faut ajouter les quantités de déchets toxiques déversés dans les eaux somaliennes, ramenés brutalement à la surface par le tsunami de 2004. Or c’est à partir de 2005, nous dit Portia Lewis, que l’on commence à parler de pirates somaliens attaquant tankers et supertankers australiens, scandinaves ou ukrainiens…
La piraterie aventureuse des Caraïbes, devenue hollywoodienne, a eu ses beaux jours au XVIIème siècle, lorsque corsaires et pirates ont été utilisés pour contester le partage de l’Amérique latine, institué par le Traité de Tordesillas (1494) au bénéfice des deux puissances ibériques (L’Espagne et le Portugal). C’était en somme une forme de banditisme d’Etat, encouragé notamment par la France, l’Angleterre et la Hollande. Sans tomber dans les récriminations, l’on pourrait aussi parler d’une pêche industrielle dévorante, au large des côtes du Sénégal. Certains pêcheurs réduits au chômage tenteront l’aventure d’une traversée périlleuse de la Méditerranée à bord des pirogues désormais médiatisées. En évitant le piège du discours de l’amertume, j’aimerais inciter à enquêter sur la face cachée des phénomènes spectaculaires que l’on nous montre, pour aller plus loin que l’immédiat des medias, dont beaucoup sont contrôlés par de puissants groupes de presse. L’information peut donc être formatée, avec ses zones d’ombre et de lumière, nous livrant une réalité à deux faces, dont l’une sera surexposée, et l’autre, perdue dans une nébuleuse de silences lourds de significations. Il y a plein de chats prédateurs à l’apparence inoffensive et beaucoup de requins qui ne sont pas toujours identifiés comme tels.
Rafael L (Afiavimag)
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