AFRICA PARADIS

 

Après toute une série de court-métrage, Sylvestre Amoussou, trentenaire béninois vivant depuis plus d’une vingtaine d’années en France, revient en force avec son premier long métrage : « Africa Paradis ». Avec ce film, il traite de l’immigration avec un concept inédit, le revirement total du paysage mondial actuel et l’Afrique en première puissance économique…

Sylvestre AMOUSSOU, afin de vous présenter aux lecteurs d’AFIAVI magazine, retracez-nous votre parcours…

A la base, j’étais étudiant en administration économique et sociale, je me suis ensuite orienté vers la comédie. J’ai pris des cours de théâtre et commencé à jouer des pièces avec Darry Cowl dans des comédies (Y’a-t-il un otage dans l’immeuble ?). J’ai fait une émission, qui, à l’époque, s’appelait « La Classe ». Ensuite, je suis allé jouer avec Michel Galabru dans une pièce qui s’appelle « Monsieur Amédée » et que je joue actuellement encore en tournée. Puis, j’ai monté un spectacle qui s’appelle « Black and White » qui tourne autour des problèmes sociaux en France, puis j’ai fait six courts métrages, dont un court métrage sur « AFRICA PARADIS » pour chercher un financement, et aujourd’hui, « AFRICA PARADIS » est mon premier long métrage.

Vous êtes réalisateur du film « Africa Paradis », qui propose un scénario inédit, pouvez-vous nous en dire plus ?

Evidemment, ça fait quelques années que je vis en France et je remarque que le problème de l’immigration revient sans cesse sur la table. J’ai l’impression que les étrangers sont plus ou moins diabolisés. La plupart des citoyens français ne savent pas ce que c’est que l’immigration parce que les politiques instrumentalisent ce phénomène pour obtenir des voix. J’ai donc eu l’idée de mettre  des européens dans notre situation, afin qu’ils puissent comprendre ce que nous nous vivons et puissent être tolérants. C’est avant tout un film sur la tolérance. Il y a une double lecture dans mon film. Africa Paradis, pour les européens c’est un peu la vision de ce que vivent les étrangers dans ce pays ; de l’autre côté, j’essaie de faire prendre conscience aux citoyens africains de la nécessité de prendre leur destin en main. Personne ne viendra changer leur destin. C’est un peu aux africains aussi de changer tout ceci.

Le sommet France-Afrique se déroule dans quelques jours, qu’est-ce que vous en pensez ?Est-ce une contradiction ?

Et bien oui, un peu. Je ne pense pas grand-chose du projet France-Afrique parce que ça fait des années et des années que certains chefs d’état africains, et souvent, français se rejoignent pour essayer de faire une « grande bouffe » ensemble. Ils essayent d’encourager quelques dictatures, de voir ce qu’on peut bien voler en Afrique et voir quel est l’élève le plus docile au niveau de la France pour lui attribuer quelques points. Je n’en pense pas grand-chose. On ne demande pas à l’Afrique de se développer et de se renfermer, mais je veux qu’on s’ouvre vers la France et l’Europe en particulier, et essayer de trouver d’autres rapports entre la France et l’Afrique. On ne veut plus être dans un rapport de dominés à dominants, mais bien de se positionner d’égal à égal. L’Afrique aujourd’hui, c’est le continent qui est très riche mais c’est aussi le plus diabolisé par le peuple d’Europe. Maintenant, il faut trouver une autre façon de gouverner l’Afrique.

Au regard de la vision des rapports Nord/Sud qui apparaissent dans ce film, peut-on en déduire qu’il subsistera toujours un déséquilibre ?

Oui, il existera toujours un déséquilibre entre les pays. Il fut un temps, c’était les Etats-Unis qui dominaient tout. Au jour d’aujourd’hui, on est soumis à cette économie du marché mais je pense qu’un jour le tour de l’Afrique viendra. Pour ça, il faudrait que les africains eux-mêmes en prennent conscience, qu’ils prennent les responsabilités de leur continent et ne plus rien avoir à faire des autres. Pour ça,  reste le plus difficile, il faut créer une union économique et politique pour que le continent se développe.

Vous êtes aussi producteur de ce film, avez-vous rencontré des difficultés pour ce projet ?

Oh oui ! On n’a rencontré que ça ! Monter un film qui parle de l’immigration dans un pays où 24h/24 on ne parle que de ça, et surtout issu de l’Afrique noire, ça ne plaît pas beaucoup aux gens. Voir le miroir de la société n’est pas bien perçu. J’ai rencontré beaucoup de difficultés. Lorsque j’ai proposé le scénario aux producteurs classiques, ils l’ont trouvé utopique, pas crédible. Par la suite, je me suis retrouvé avec une productrice d’origine africaine, et finalement, on a démarré le tournage tout de suite mais c’était compliqué. On a eu un peu d’aide de l’union européenne et de la francophonie, de certains investisseurs également. Evidemment, tout cet argent c’est volatilisé dans la nature, et voilà « AFRICA PARADIS ».

J’ai l’impression qui si il n’y avait eu pas la grande solidarité des acteurs noirs, ce film n’aurait jamais réellement vu le jour ?

Non, et c’est vrai. Maintenant il faut compter sur certains personnages de la diaspora qui ont quand même mis la main à la patte. Je ne peux pas tous les citer et je ne veux pas faire de la peine à qui que ce soit. Il y a des hommes de la société civile, des pilotes de ligne, des hommes d’affaires, qui ont pu voir ce que j’ai fait et qui ont cru en moi. J’ai quand même passé une année entière devant la justice pour récupérer mes rushs, les droits de mon film parce que la société précédente a été liquidée et on s’est retrouvé devant le tribunal de commerce de Paris, où ils ont nommé  un liquidateur justicière. Je me suis battu avec les droits sur le film en tant que compositeur. Sandrine Bulteau m’a financé pour racheter la deuxième partie de la deuxième coproduction. Elle a investit beaucoup d’argent, une fois qu’elle a vu que le bilan était déposé. Puisqu’elle était déjà comédienne dans le film, elle fini monter un structure française, ma boîte de production étant en Afrique. Avec son concours, on a finalement réussi à monter le film. Une fois terminé, je pensais que ça allait être facile, et bien non ! Les problèmes ont recommencé parce que nous ne sommes pas dans la case classique des distributeurs. Pour faire du cinéma, pour être bien vu en France, il faut faire de la misère africaine. Comme ce film ne correspond pas à cette image-là, le mot est passé un peu partout, le projet a été refusé. Des distributeurs voyaient le film, le trouvaient très bien, et répondaient finalement quelques jours après en disant qu’il n’y avait pas de public pour lui. Finalement, il y a des structures qui sont là, en France, pour aider le cinéma indépendant, et qui ne le font pas. C’est devenu un circuit de lobbying.

Donc, vous êtes conscient quand même que le lobbying existe ? Pour ce long métrage, vous aviez compris qu’il y avait quand même une carence au niveau du cinéma…

Oui, dans notre communauté, il y a une vraie carence et il faut prendre conscience qu’il est très important de se regrouper. Malheureusement, on parle de communautarisme mais je pense qu’il faudrait quand même qu’on se mette ensemble pour défendre les intérêts de l’Afrique, sans se fermer évidemment vis-à-vis des gens qui viennent de l’extérieur et qui veulent travailler avec nous. Dans tous les cas, il y a des gens très compétents, des gens très ouverts. Mon film, ce n’est pas un film sur la fermeture, c’est un film avant tout sur l’ouverture et sur la tolérance.

Quel impact attendez-vous de l’Afrique, et de l’Europe ?

J’ai été dans quelques festivals. On m’a invité il y a un mois et demis au Festival du film Africain de Bruxelles en novembre dans le cadre de la semaine de développement Europe/Afrique. Le film a été projeté devant 700 personnes au Kinepolis de Bruxelles et c’était plein. Il y avait des noirs, il y avait des blancs, il y avait quelques arabes, et les gens étaient ravis et trouvaient ça génial. C’est rare de voir un film comme ça, qui parle d’un problème de société, et qui touche tout le monde ! « Africa Paradis » a fait la clôture du festival d’Amiens, au mois de décembre. C’était curieux dans la salle, il y avait au moins une vingtaine de noirs et d’africains et il y avait 300 blancs, qui on dit « bravo, un film que tout le monde devait voir, aussi bien le public que les politiques ». On voit bien qu’il se passe quelque chose autour du film. En dehors de ça, il y a 15 jours environ, je suis passé sur France Inter. Depuis, nous recevons, la production et moi-même, beaucoup de demandes, dans les écoles, les lycées, et puis dans les villes aussi, que ce soit, à Perpignan, à Marseille, même en Guyane. Les gens se demandent quand est-ce que le film sort chez eux. Il se passe réellement quelque chose !

Voilà un film qui est soutenu du public avant même sa sortie officielle, comment expliquez-vous ce phénomène ?

Voila ! C’est ça qui fait plaisir ! Surtout, on a été agréablement surpris au niveau des médias. On a fait 4 projections de presse. On a eu toute la presse, en passant par le canal OCB, le journal du Dimanche, Télérama, VSD, etc. Tout le monde est venu ! J’explique ce phénomène simplement par une carence. On est en pleine période électorale et c’est un sujet qui touche tout le monde ! Le problème de l’immigration revient à ça, parce que qui veut dire immigrés veut dire délinquance et désordre. Tout le problème aujourd’hui est qu’on se focalise surtout sur les noirs, la population noire, ça me désole un peu parce que on a peur d’autres populations. Comme on se rend compte que la population noire n’est pas unie, qu’il n’y a pas d’entente entre nous, ils en profitent pour nous diaboliser et nous montrer du doigt.

Ce film est-ce que c’est inverser la tendance pour changer le futur ?

Et bien oui, l’objectif c’est ça. L’objectif est de montrer le miroir aux gens. De faire prendre conscience à tous les acteurs de la société civile et politique, que ce n’est pas la peine de montrer du doigt les gens parce que, d’un côté, vous voyez bien que le continent africain possède les matières premières et que l’Europe ne possède rien. Elle a juste le savoir faire, il faut dire la vérité. Il y a eu l’esclavage, il y a eu la colonisation, mais on ne va pas continuer à vivre dans le passé. On peut toujours travailler ensemble mais sans nous mépriser et nous diaboliser. Maintenant, il faut que les africains eux-mêmes prennent conscience de ça.  Nous vivons dans un monde où la mondialisation fait que nous devons aussi lutter pour le devenir de nos enfants. Ce n’’est peut être pas nous qui allons voir le résultat mais il faut travailler dans ce sens là pour nos enfants.

Les Etats-Unis d’Afrique, me rappellent Kwamé NKrouma…

Effectivement, eux ils ont démarré, et après, le black out total ! Maintenant, j’ai l’impression que Kwamé NKrouma a changé un peu le cours des choses, mais il y a quand même beaucoup de problème à résorber.

La notoriété vous fait peur ?

Pour moi, ça n’a que très peu d’importance. Je sais que la notoriété, ça va, ça viens. Je suis acteur et comédien, j’ai joué un peu au théâtre et je sais qu’il y a des moments, où quand tu es dans l’actualité, ça parle bien ou pas bien de toi, et après on disparaît dans l’anonymat. Pour moi l’important, c’est les critiques existent, c’est que je sois le porte parole de cet envol.

« Africa Paradis », pourquoi ce titre ? Est-ce une allusion à l’Americain Dream ?

Est-ce votre espoir pour l’avenir de l’Afrique ?

Non, parce que j’ai toujours trouvé que l’Afrique était le paradis. Malheureusement les structures les estompent pour qu’on vive dans la désolation. Dès le début du film, je parle de l’unification de l’Europe qui ne s’est pas faite et l’Afrique était un paradis noir. Généralement, tout ce qui est noir est considéré comme diabolique à l’inverse de tout ce qui est blanc.  On a mis ça dans l’inconscient des gens depuis tout petit. Je trouve que c’est injuste, le paradis noir existe bel et bien, et c’est l’Afrique.

Avez-vous peur des répercussions de vos propos ?

Vous savez, je dis des choses mais je suis très ouvert sur le monde. Je ne suis pas entrain de faire le développement, de penser à l’ouverture de l’Afrique contre les autres pays. Je suis pour le métissage. Moi-même je suis papa d’enfants métisses, et j’essaie de préparer un lendemain meilleur pour mes enfants.

Propos recueillis par A.A. d’Almeida et Marlène Gervais.

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