Les gammes géomantiques DU BENIN

 

La culture se fraie une place dans le paysage de la recherche au Bénin. Dans un contexte de mutation rapide et de construction d’une société planétaire de la connaissance, des compétences nationales avérées explorent sans désemparer, divers domaines d’excellence. Marcel PADEY, musicologue béninois, vient de mener un travail d’expertise pour l’avènement d’un nouveau courant esthétique dans l’univers musical africain.

Afiavimag : Quand on survole un peu votre parcours professionnel, on a envie de vous affubler du vocable « touche à tout ». Comment en êtes-vous arrivé là?

M P : Quand quelque chose vient à moi, je ne peux m’empêcher de la toucher. J’ai obtenu une maîtrise en Musicologie à l’université de Paris VIII en 1986, ensuite j’ai servi en qualité de technicien de son à la Société Africaine des Techniques Electroniques (SATEL) à Cotonou. A ce titre, j’ai enregistré plusieurs célébrités de la scène béninoise : Stan TOHON, Gnonnas PEDRO, SAGBOHAN Danialou. J’ai aussi à mes actifs trois albums en autoproduction. J’ai créé mon propre studio et j’enseigne la musique. Je suis par ailleurs très actif dans le mouvement associatif et je m’investis également dans la recherche musicale. C’est plus fort que moi.

Afiavi : La Charte culturelle du Bénin entend encourager la recherche. Mais visiblement, vous semblez être en la matière, l’hirondelle qui fait le printemps. Comment justifiez-vous cette ténacité en dépit de l’absence de soutien des pouvoirs publics?

M P : Ont-ils le réflexe de regarder l’hirondelle qui a tissé son nid sous le toit de leur maison ? Ce nid contient des œufs qui à leur tour deviendront des d’hirondelles !

Afiavi : Comme le dit un adage, qui cherche trouve. Et vous vous exclamez enfin Eurêka, j’ai découvert les gammes géomantiques ! De quoi s’agit-il précisément ?

M P : Les 16 signes basiques du langage de la géomancie ont retenu mon attention par la pertinence de leur composition. Le langage musical repose sur la même pensée binaire qui se lit dans les gammes diatoniques dont les 2 indices sont : 1 ½ ton et 2 ½ tons pour les musiques occidentales et 2 ½ tons et 3 ½ tons pour les musiques africaines. En géomancie, ces indices sont (I) et (II) ou (●) et (●●) ; ce sont eux qui se combinent dans un espace à 4 dimensions pour l’écriture chronologique des 16 signes basiques du langage géomantique comme suit :

I           I           I           I           II          I         I        I      II       II     II        I        II        II      II       II

I           I           I          II          I           I        II       II      I        I      II        II        I        II      II       II

I          I          II           I           I          II        I        II      I       II      I      II           II       I       II       II

I         II            I           I           I          II       II        I      II       I       I      II           II      II       I       II

Partant de l’idée que les indices correspondent respectivement au plus petit et au plus grand des intervalles des gammes diatoniques qui caractérisent les deux types de musique, j’ai, dans un premier temps, trouvé que chacun des 16 signes basiques peut être interprété comme un pentacorde, c’est-à-dire une suite de 5 sons ; dans un second temps, je me suis servi de la technique de combinaison deux à deux des 16 signes basiques.

Traduit dans le langage musical, chacun de ces 256 signes obtenus de la combinaison binaire correspondrait à un nonacorde, c’est-à-dire une suite de 9 sons, pouvant caractériser les gammes occidentales et africaines, soit un total de 512 gammes que j’appelle gammes géomantiques. Voici à titre d’exemples, les gammes géomantiques « Sa Mèji », l’une Yovo pour le type occidental et l’autre Mèwi pour le type africain.

Afiavi : Concrètement, en quoi les diverses applications de cette découverte peuvent-elles révolutionner la création musicale ?

M P : Les  univers sonores naissants apporteront une nouvelle dynamique à l’imagination féconde et créatrice de l’industrie musicale. Leurs impacts positifs aux plans culturel, économique et  social sont indéniables aussi bien pour les pays du Nord que pour ceux du Sud. Des progrès notables sont attendus en matières pédagogique, ludique, instrumentale. On assistera aussi à une meilleure pratique du chant chorale, au renouvellement du parc organologique des musiques traditionnelles et modernes avec des effets induits sur le développement du tourisme et de l’artisanat.

Afiavi : On n’allume pas une lampe pour la mettre ensuite sous le boisseau. Quelle est votre stratégie de promotion de ce label ?

M P : J’ai un projet de publication. Je souhaite mettre les données audio des 512 gammes géomantiques en formats wave, mp3 et midi 0, sachant qu’avec ce dernier format, l’usager peut modifier le timbre des sons, moduler les gammes à des fins multiples et composer des mélodies. J’ai aussi réalisé en batik 512 toiles pour représenter les 256 signes en 16 grands tableaux dans l’ordre hiérarchique, comme les 16 carrés géomantiques. Ces tableaux illustrateurs feront l’objet de multiples expositions avant d’être cédés à un musée.

♀  XIII   ♂                    ♀   IX   ♂                     ♀   V   ♂                       ♀    I    ♂

 

29.bf Guda Loso         25.ee Sa Mèji              21.ec Sa Lètè               17.ea Sa Gbé

Afiavi : Comment vos pairs occidentaux ont-ils accueilli les résultats de vos travaux ?

M P : Ils ne sont pas nombreux à se prononcer sur mes travaux ; mes brefs séjours en France ne m’ont pas permis d’en parler plus longuement. Toutefois, le sujet a fait l’objet d’une communication avec les étudiants de l’Université de Cergy Pontoise. Et beaucoup d’étudiants occidentaux viennent s’imprégner de nos valeurs traditionnelles.

Afiavi : Un nouveau ministre est en charge de la culture depuis un mois. Qu’avez-vous envie de lui conseiller pour la réussite de sa mission ?

M P : Qu’il écoute d’autres sons de cloches afin de relever les défis majeurs qui feront du Bénin une véritable destination culturelle riche de ses originalités.

Afiavi : Vous avez inventé un instrument de musique baptisé « Tim’bo ». Décrivez-le et dites-nous ce qu’il a de particulier par rapport aux autres instruments de musique connus.

M P : Je l’ai plutôt ressuscité dans la famille de nos instruments de musique en voie de disparition ; il est connu aussi sous l’appellation Guidigbo par les locuteurs fon, goun et yoruba ; les djerma au Niger le nomment Guidiga, et en Afrique Centrale, il est appelé Sanza ou Likimbé.

 

sanza1

C’est un instrument mélodique constitué par une caisse de résonance sur laquelle sont installées des languettes que  l’on percute avec les pouces, et c’est pourquoi les occidentaux le décrivent comme un piano à pouces.

La résurrection du Tim’bo est suivie de son évolution puisqu’il est passé de 5 languettes à 9, ce qui le rend apte à jouer les gammes géomantiques !

Cet instrument a une sonorité exceptionnelle ; lorsqu’il est bien accordé, il se marie harmonieusement avec les instruments de musique moderne.

Afiavi : Quelle analyse faites-vous de l’évolution des arts de la scène en Afrique?

M P : Cela peine à avancer. Quand les créateurs participent difficilement une fois dans l’année à un évènement, c’est qu’il y a problème. Les instabilités politiques que connaît le continent ne sont guère favorables à une évolution saine, objective et profitable à la carrière des acteurs des arts de la scène. Il faut plus d’engagement et de professionnalisme de la part des états et des artistes.

Afiavi : Avez-vous dans l’immédiat un projet qui vous tient à cœur et pour lesquel vous souhaiteriez nouer des partenariats ?

M P : Je nourris profondément le rêve de rassembler dans un grand festival pérenne et itinérant, tous les pays d’Afrique qui ont le Tim’bo en partage; ce sera le lieu de rencontre, d’échange et de sensibilisation de la jeunesse à la réappropriation de son patrimoine et l’occasion d’offrir au monde de la musique élaborée à partir de nos instruments de musique traditionnelle.

René Georges BADA (Afiavimag)

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