Yo tambien casse du triso ?

On s’attendait à une révolution !

Plusieurs prix d’interprétation pour les deux acteurs. Une pub énorme, des critiques unanimes. Une heure après, on reste sur sa faim.

Alvaro Pastor et Naharro avaient un beau sujet : le handicap. Ils disaient rompre avec les clichés. Casser les regards, électrifier les consciences « bourgeoises ».

Manifestement, c’est raté.

Le scénario ? Un classique à la Lelouch : un homme, une femme, à Séville !

Daniel (Pablo Pineda), 34 ans, trisomique et Laura (Lola Duenas), une écorchée vive.

Deux individus marqués au fer. Deux trajectoires. Deux corps qui fusionnent à l’hôtel, un soir, loin des regards. Le temps d’une parenthèse. Le temps d’un bras tendu à la « tyrannie »  des normes. D’une révolte aussi éphémère que les « bonnes intentions ».

Ecrire que ce film « donne une pêche d’enfer », c’est à la fois vrai et faux.

Au coin de la rue, l’aventure

Une fois n’est pas coutume, le cinéma espagnol examine les morts. L’autopsie est cinglante. L’homme oublierait l’essentiel : vivre.

Au fil des images, on cerne son problème. La peur d’être. L’angoisse d’incarner la prière de Goethe, ici et maintenant: « Meurs et deviens ! »

Yo Tambien se résume en un aphorisme. Qui, à force de slogans, est devenu un dogme, aujourd’hui. Une injonction. Sortir de nous-mêmes pour aller vers l’Autre.

La formule serait simple.

Se lever chaque matin. Se dire qu’au coin de la rue, au bureau : l’aventure.

A voir Daniel et Laura, on se dit que Brecht a raison. L’insolite est dans le familier.

Les dossiers, la photocopieuse,  l’ordinateur, des outils de travail, certes, mais aussi des catalyseurs de liberté.

A travers eux s’ouvrent des possibles. Mais encore faut-il regarder. Lire derrière les masques. Prendre le temps de dépasser le « dialogue des armures », de faire un pas sur le côté.

Le rire, la complicité, le désir… « Des armes de destruction massive  » dans une société aseptisée, frileuse. Recroquevillée sur ses angoisses, « ses impératifs catégoriques ». Plus préoccupée par le statu  quo des névroses que par la communication.

C’est la note positive du film. Celle qui nous fait repartir du bon pied.

Qui veut faire l’ange fait la bête ?

Mais ne versons pas dans l’euphorie. Yo Tambien ne prône pas la révolution.

Encore moins la libération des trisomiques. Daniel ne décolle pas. Le réalisateur, en bon « essentialiste », l’embrigade dans son infirmité. Difficile pour l’ouvrier de s’identifier au personnage. D’être dans l’empathie.

Au boulot, Daniel fait de la figuration. Rêvasse, amuse la galerie. Boit du café, va à la photocopieuse, lorgne la poitrine de sa muse, en tout bien tout honneur.

Hormis Laura, « la blonde » qui le « chauffe », et qui l’utilise comme anti-dépresseur, les collègues l’infantilisent jusqu’au cortex.

On en voudrait presque à « la discrimination positive ».  Dans ce décor, les compétences de Daniel partent en fumée. On ne voit que le bouffon. Pas l’éducateur.

L’agacement atteint son apogée lorsque Laura le questionne sur son combat: « Pourquoi veux-tu être normal Daniel ?

Faut-il, pour un sujet aussi lourd, vendre l’inversion des valeurs, le « marxisme » comme alternative/pense bête à la trisomie ?

Dire que la normalité n’est qu’une « invention » de la bourgeoisie, un délire de conformiste malade, est un bien maigre lot de consolation pour des exclus à temps plein.

Lui aussi veut voir de la « fesse »

Malgré quelques trêves (la plage, le restau), Daniel prend des baffes.

Barré à l’entrée d’une boîte de nuit par un portier sans neurone. Acculé par la bêtise qui oublie qu’un trisomique, ça « bande », Daniel, comme Merrick (Elephant man), doit hurler son humanité à une société sourde, aveugle. Rappeler au voisinage, malgré sa petite taille, son visage d’éternel ado, qu’il n’est pas mineur.

Que lui aussi veut voir de la « fesse ». Qu’il veut draguer.

Peine perdue. On ne le fera pas entrer.

« Ne me culpabilise pas d’avoir ce que j’ai, Daniel »

Loin d’être un panégyrique à la mixité, ce film chante la défaite de la subversion. La débâcle des « bons sentiments ».

Malmené par le système, épuisé par ses railleries, Daniel, après s’être pris un vent, pense trouver un répit chez son frère (Antonio Naharro). Erreur.

Ce dernier l’achève, lui rappelant la dure loi de « la quarantaine ». Un programme bien enraciné dans nos consciences.

Aimer, pour lui ? C’est possible. A condition que sa partenaire ait une anomalie génétique ! Ce « pass » qui lui permettra de fonder une « famille », sans prendre le risque de la faire imploser. Un sauf-conduit qui lui donnera l’illusion d’être monsieur tout le monde.

Et comme si cela ne suffisait pas, le frangin lui balance, entre quatre yeux, on est à deux doigts d’applaudir : « Ne me culpabilise pas d’avoir ce que j’ai ».

A Sartre qui disait : « On est condamné à la liberté », Pastor et Naharro, en pragmatiques, répondent, élargissant la clientèle : « On est condamné à choisir ceux qui nous ressemblent ».

Etrange façon de faire évoluer les mentalités si le cinéma caresse les préjugés dans le sens du poil. Etrange façon de changer les regards inquisiteurs. D’accepter, par exemple, une troisième mi-temps avec un trisomique. En d’autres termes, jouer les prolongations avec la différence.

« Même si tu souffres de me voir, fais semblant d’être heureux »

La violence trouve une porte de sortie scandaleuse.

L’humanité de Daniel, son corps, sont reniés. Dans la chambre d’hôtel, on ne verra ni son dos ni son sexe. Pas de scène d’amour non plus. Juste un fondu enchaîné où on les retrouve au lit, couverts de la tête au pied. Histoire de dire : Laura a couché avec lui, fissa !

On le croit  libéré, sur son petit nuage. On espère l’idylle, Devine qui vient dîner !

Eh bien, non ! A peine initié au coït, elle le plaque, lui demandant de l’oublier.

De passer à autre chose, c’était le contrat (une nuit et dégage). Bref, de prouver qu’il sait s’adapter.

Et cerise sur le gâteau – ce qu’elle n’a jamais imposé à ses amants – : de sourire à la vie (on notera le cynisme). De « faire semblant d’être heureux » quand bien même il souffre. Notre héroïne ne se donne pas deux fois à un « intrus », voyons !

On ne va  pas lui demander, en plus, de faire des heures sup. De faire l’aumône.

Bienvenue dans le monde des normaux, Daniel ! Où l’éphémère est la fille aînée de la maltraitance quand il n’est pas le veau d’or.

On ne pouvait pas trouver – en matière d’intégration pour les trisomiques -, meilleure conclusion.

Une conclusion que le Houelbecq des Particules élémentaires trouvera bien « réaliste ». On le comprend.

 

Paul Moffen (Afiavimag)

 

http://www.dailymotion.com/video/xdp0mg_yo-tambien-bande-annonce-vost-fr_shortfilms, Yo, También – Bande annonce Vost FR

 

 

 

 

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