Mukuna passe Finkielkraut au vitriol !

 

olivier mukuna La saga de l’équipe de France de football continue. En moins de trois jours, elle encaisse trois buts : une défaite contre la Biélorussie en phase éliminatoire pour l’Euro, le licenciement de Raymond Domenech, sans indemnité, pour fautes graves, soupçonné, en plus, d’être la « taupe ». A quoi il convient d’ajouter les propos nauséabonds des médias sur « les caïds », suite au « Waterloo » sud africain.

Olivier Mukuna, journaliste belge, spécialiste des médias, auteur de deux livres sur l’humoriste Dieudonné et d’un documentaire, revient sur cet épisode où le racisme s’est invité à la vitesse grand V.

Une info Afivavi et carton rouge à Alain Finkielkraut.

– L’équipe de France de football a été éliminée de la Coupe du monde.

En a-t-on trop fait, trop dit ? 

« Bien sûr qu’on en a trop fait et trop dit. Et pour le pire des résultats : un regain de communautarisme, de négrophobie et de vision antisociale. Il y avait longtemps que votre « intelligentsia » politico-médiatique – que peu de monde vous envie – n’avait alimenté un psychodrame avec autant de ferveur destructrice. Au départ, je comprend parfaitement la déception, voire, l’amertume des Français face à l’échec sportif de leur équipe de foot. Mais resasser ensuite cette grève d’entraînement comme une sorte de « crime envers la Nation  », puis de « l’expliquer » en exhortant à la haine des banlieues, de l’Islam, des Français d’origine afro-antillaise et du droit de grève, c’est grotesque, malhonnête et contre-productif. Autant de diversions qui ont bien masqué la crise socio-économique, la réforme des retraites ou l’affaire Woerth-Bettencourt. L’intérêt des Français pour la saga perdante des Bleus était normal et classique, mais que TF1, France Télévisions et d’autres en fassent des JT d’une demi-heure ou des kilomètres de pages, c’est consternant et débilitant.  « On », c’est-à-dire les médias aux ordres – avec L’Equipe pour rédacteur en chef -, le ministre des Sports et Sarkozy en ont trop fait parce que cela les arrangeait d’un point de vue politique. Il est évidemment plus facile de contribuer ou d’applaudir au lynchage médiatique de jeunes sportifs millionnaires que de s’attaquer à la racine des problèmes qui ont concouru au fiasco sud-africain. Quel que soit le domaine, cette politique du bouc émissaire est malheureusement très française … »

– Comment réagissez-vous aux déclarations d’Alain Finkielkraut dans le Journal du Dimanche en date du 20 juin 2010 : « Des sales gosses boudeurs ».

Il affirme : « Ils (les joueurs) cassent l’identification. A la différence des autres équipes nationales, ils refusent, en sales gosses boudeurs et trop riches, d’incarner la nation. Mais si cette équipe  ne représente pas la France, hélas elle la reflète : avec ses clans, ses divisions ethniques, sa persécution du premier de la classe, Yoann Gourcuff. Elle nous rend un miroir terrible (…) On a voulu confier l’équipe de France à des voyous opulents et pour certains inintelligents. Il faudra maintenant sélectionner des gentlemen ».

« Avant l’échec sud-africain, Finkielkraut a également dit : « Avec cette équipe de France Black-black-black, nous sommes la risée de toute l’Europe » … Ce négrophobe sarkozyste est l’exemple même du voyou intellectuel dont la majorité des éructations médiatiques font le déshonneur de la France.. »

– Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère même si Alain Finkielkraut est un Républicain de gauche qui a voté Sarkozy !

« Les joueurs n’ont pas « cassé l’identification » ou « refuser d’incarner la nation ». Ce sont de purs produits du système français qui ont décidé de marquer leur désaccord professionnel avec leur direction. Non seulement, cela découle de l’histoire et de la culture contestataire françaises, mais en plus, j’estime qu’ils en avaient parfaitement le droit. Ce sont eux qui sont sur le terrain et non les commentateurs-idéologues ou les braillards confortablement installés dans leurs fauteuils. Dans n’importe quel secteur professionnel, de quel moyen décisif disposent des travailleurs pour se faire entendre et s’opposer à la toute-puissance de leurs dirigeants ? La grève, l’arrêt de travail. Le coup d’arrêt brutal qui contraint définitivement les détenteurs du pouvoir à reconnaître le malaise et l’urgence d’en sortir.

Si  les joueurs de l’Equipe de France disposaient des compétences techniques pour  parvenir en quart, voire en demi-finales, ils n’avaient pas l’indispensable confort  psychologique et la confiance en leur chef. Un problème crucial que les responsables ont laissé pourrir plusieurs années avant le mondial sud-africain. Dès lors, les Bleus ont très mal joué et perdu. Cela signifie-t-il qu’ils ne voulaient pas gagner cette Coupe du monde ? Pour eux comme pour leur pays ? Non, c’est le rêve de tout footballeur professionnel ! Pourquoi les joueurs français feraient-ils exception ? Parce que la plupart ont la peau noire et sont originaires des banlieues ? Comment peut-on donner le moindre crédit à ces élucubrations racistes ? La grève inédite des joueurs a surtout et enfin posé le problème central : l’équipe était dirigée par un joueur de poker psychorigide. Un sélectionneur lunaire et irascible, soutenu en dehors de toute raison sportive par une Fédération française de football, plus soucieuse de garantir son pouvoir que de prendre la décision inéluctable pour tenter  de remporter le trophée mondial. Autrement dit : remplacer Raymond Domenech dès son échec de 2008. Aucune équipe de foot ne peut gagner le titre suprême en étant dirigée par un tel déséquilibré.

En définitive, je rejoins Finkielkraut sur le fait que cette équipe a logiquement reflété le terrible malaise français sous l’ère Sarkozy. En y rajoutant un élément qu’il oublie à dessein : comme l’ont montré ces joueurs, il est possible et même salutaire de résister à cette politique clanique de l’abus de pouvoir et du passe-droit, active dans les hautes sphères du football français comme au sein du régime «hyperprésidentiel» … »

On a entendu sur RMC, dans Les Grandes Gueules, à quelques heures du match contre le Mexique (rencontre décisive pour les Bleus), « l’équipe de France, aimez-la ou quittez là ? »  

Le stade, nouveau lieu pour relancer le débat sur l’identité nationale ?

« C’est un autre exemple de l’influence du « national-sarkozysme » dans les médias. Cette vision tyrannique qui exclut du débat public l’esprit critique et l’opposition légitime pour tout ramener au champ émotionnel. En d’autres termes : si vous n’êtes pas d’accord, peu importe vos arguments, vous dégagez ! Il s’agit de se soumettre à tout et n’importe quoi ou de s’exclure. Cette vision se rapproche davantage du fascisme que du pluralisme démocratique. »     

– Je reviens sur les propos d’Alain Finkielkraut. Ne les trouvez-vous pas maladroits, imbibés de néo-colonialisme quand il déclare : « Jean-Alain Boumsong, l’un des grands joueurs qui n’ont pas été retenus pour cette Coupe du monde en appelle à l’humilité. Il s’exprimait dans une langue irréprochable. »  

« C’est assez clair depuis plusieurs années : Finkielkraut est un homme qui croit à l’existence des races et surtout, à leur hiérarchisation du seul point de vue occidental. Dès lors, ce disciple de Gobineau voit d’abord en Jean-Alain Boumsong, un nègre qui doit répondre aux attentes et espoirs lucratifs que ses supérieurs blancs ont placés en lui. Si besoin était, cette remarque ridicule sur le français « irréprochable » de Boumsong souligne à la fois l’ignorance négrophobe et le mépris foncier pour les couches populaires qu’entretient fièrement Finkielkraut. Il est amusant de constater que cet amoureux de la « complexité » sur d’autres sujets, se trouve proprement incapable d’éviter les stigmatisations dès que s’exprime un Français d’origine africaine.

Ensuite, outre qu’on ne saisit absolument pas la pertinence de tel ou tel niveau linguistique dans l’échec footballistique des Bleus, pourquoi faut-il souligner que Boumsong s’exprime parfaitement en français ? Parce que ses origines sociales et culturelles devraient automatiquement faire penser le contraire ? Parce que Boumsoung illustrerait un modèle à suivre pour d’autres aux « origines sauvageonnes » identiques ? Voilà une « défaite de la pensée » qui fait effectivement écho aux distinctions qu’établissaient, par exemple, les colonialistes belges au Congo. Pour eux, les autochtones se divisaient en deux catégories : les « sauvages » et les « évolués ». Ces derniers étant jugés presque civilisés parce que parvenus à intégrer et utiliser les codes et coutumes de l’oppresseur colonial …

En conférant une citoyenneté entièrement à part aux Français d’origine afro-antillaise, Finkielkraut perpétue le continuum colonial. En digne représentant de cette partie des Français qui nie la nationalité à leurs compatriotes, sous prétexte que ces derniers  refusent l’assimilation et souhaitent préserver leur double ou triple culture. »

– Vous persistez et signez !

« Non seulement Finkielkraut ne risque pas d’écouter « l’appel à l’humilité » de Boumsong mais je doute qu’il retrouve un jour un minimum d’honnêteté intellectuelle. Si ce jour arrivait, avant de s’extasier sur qui s’exprime dans un français irréprochable, il s’interrogera peut-être sur les raisons de l’hyperprésence des Français d’origine afro-antillaise dans le sport professionnel en contraste avec leur absence dans les CA des grandes entreprises, des médias ou des partis politiques. Mais une telle interrogation ferait s’écrouler son fonds de commerce raciste et réactionnaire, beaucoup trop rentable sous l’ère Sarkozy. »  

– Nicolas Anelka a accordé une interview au journaliste Arnaud Ramsay de France Soir, le 05 août dernier. Je vous lis le passage qui fait polémique : « On n’est pas français et fier de l’être seulement quand Boli marque en finale de la Ligue des champions, quand Zidane plante deux coups de tête contre le Brésil, quand Noah s’impose à Roland-Garros ou Riner en judo. Quand ça se passe mal, alors, on redevient des immigrés noirs (même quand on ne l’est pas !) ou arabe, racaille, caïd banlieusard et musulman !

 Quand on regarde Lemaitre gagner en athlétisme, on ne cherche pas à savoir d’où il vient, ni sa religion. On accepte sa valeur et on se dit qu’il est français, c’est tout. »                                       

Faites-vous aussi le même constat ou Anelka est-il allé trop loin comme le souligne Europe 1 ? 

« Je partage totalement le constat d’Anelka. Ceux qui sont allés trop loin s’appellent Eric Zemmour, Alain Finkielkraut et autres journalistes ou intellectuels serviles. La déception et les critiques concernant les Bleus auraient dû ressembler à celles de la presse italienne sur l’élimination de la Squadra. Dures, sévères, parfois injustes mais pas essentialistes, haineuses et à connotations racistes. A-t-on vu des intellectuels, des journalistes ou des politiques italiens relever avec insistance l’origine sociale,  nordique ou sudiste et la religion des joueurs pour expliquer leur échec à la Coupe du monde ? Si je ne m’abuse, même la presse sportive ne s’est pas compromise à placer en « Une » un photomontage de propos orduriers non établis dans le seul but de vendre un maximum ! Néanmoins, j’ai envie d’ajouter que cette comparaison reste bancale pour une raison évidente : il n’y avait pas un seul joueur d’origine africaine dans l’équipe italienne … Et je n’ai pas le sentiment que l’intelligentsia politico-médiatique italienne comprend moins de négrophobes que son homologue française. »

– Eurosport, un autre média,  ne  donne-t-il de l’eau au moulin de ce joueur, puisqu’un de ses journalistes, a parlé de « mutins sud africains » !  

« Oui, bien sûr. Cette expression rejoint la déchéance de nationalité fantasmée que j’évoquais précédemment. Dès que le sportif français noir ne donne plus satisfaction, ne remplit plus les attentes comportementales et lucratives attendues, il n’est plus « Français ». C’est la vieille histoire de la perception médiatique des défaites ou des victoires du tennisman Yannick Noah dans les années 80. Lorsque Noah gagnait, il était « Français » pour tous les commentateurs, point final ! Lorsqu’il perdait, ici et là, il redevenait franco-camerounais voire « camerounais » tout court. Ce processus mental est un héritage de l’Empire esclavagiste et du colonialisme français. Sous des formes renouvelées, le même principe de perception de l’homme noir perdure depuis 4 siècles. Défini par son seul épiderme, le Noir est un sous-homme bestial dont il faut exploiter la force musculaire, la sexualité et auquel il faut absolument dénier toute intelligence. De bonne foi, beaucoup croient que cette conception sordide a été abolie avec la fin de la traite négrière et du colonialisme. Il n’en est rien. Aujourd’hui, par exemple, le choix systématique de vigiles ou de balayeurs de rue noirs dans le chef des employeurs français relève partiellement de cette conception. » 

– Que révèle cette affaire sur la société française ?

Du regard que « l’élite » porte sur ces joueurs, sur les Français d’origine immigrée ?

« Cette affaire confirme davantage qu’elle ne révèle le haut degré de racisme et de communautarisme blanc que cette « élite » relaye avec force auprès de la société française. Malgré les temps de crise, j’ai envie d’espérer que beaucoup de Français  ne sont pas dupes. Mais je crains qu’il ne s’agisse pas d’une majorité …

Qu’ils émanent de leaders d’opinion au service du pouvoir ou de citoyens ordinaires, la multitude de commentaires exaspérés, style « la racaille au Kärcher », restent proprement hallucinants. On avait l’impression qu’il y avait eu mort d’hommes ou un massacre tant la rage contre cette équipe était hystérique. L’engouement pour cette politique du bouc émissaire, notamment contre Nicolas Anelka et Patrice Evra, a atteint des degrés de haine négrophobe qui n’existaient pas après l’élimination similaire des Bleus au mondial 2002. Concernant Anelka, il est quand même étrange que ses propos insultants à l’encontre de Domenech (dont on ignore toujours la forme précise) ait soulevé beaucoup plus d’animosité et de critiques que ceux du Président Sarkozy envers un citoyen croisé au Salon de l’agriculture. Rappelons aux journalistes amnésiques et autres gardiens de l’exemplarité morale que Sarkozy a lancé  « Casse-toi, pauv’ con! » à un homme qui refusait son contact. En son temps, l’affaire a fait grand bruit, mais personne – encore moins Finkielkraut, Zemmour et consorts ! – n’a tenté « d’expliquer » l’outrance verbale de Sarkozy par ses origines hongroises, socialement aisées ou ses convictions catholiques ? Evidemment, il est beaucoup moins dangereux de s’attaquer à des footballeurs professionnels qu’au Président de la République. Je suppose qu’il s’agit là d’une nouvelle démonstration de ce « courage journalistique » à la française … »       

– A quoi sert le football en France en temps de crise ? 

« A faire diversion sur les vrais enjeux sociopolitiques et à générer des masses d’argent. L’instrumentalisation idéologique du foot professionnel relève de l’adage latin « du Pain et des jeux ». Dans le même temps, il est difficile d’échapper à cette exaltation populaire que produit la Coupe du monde, son effet de catharsis, ses peines, ses suspenses et son plaisir libératoire. Contrairement à ce que dit Finkielkraut, que les Bleus perdent ou gagnent, il y aura toujours processus d’identification entre eux et le peuple français. Parce que ces jeunes hommes incarnent et représentent ce mélange de rêves, d’ambitions victorieuses, de dépassement de soi et de nostalgie de la période où chacun a tapé le ballon. D’ailleurs, après avoir vécu l’émotion pure pendant près de deux heures, il est possible et surtout sain de prendre du recul dès la fin du match. En Belgique, on a beaucoup plus d’entraînement pour ça (rire). Depuis 2002, notre équipe de foot ne parvient plus à se qualifier pour l’Euro et la Coupe du monde. Elle est à l’image de la situation délétère belge, cet interminable « chant du cygne national » qui pousse francophones et flamands à la scission du pays. » 

– Finalement, au-delà de la grève d’entraînement, ne reproche-t-on pas aux Bleus « d’avoir tué les dieux ? »  D’avoir intégré l’idéologie de marché.

En d’autres termes, d’être des désacralisateurs/profanateurs, de participer au « désenchantement du monde » ? J’emprunte la formule au sociologue Max Weber.

« Ceux qui adoptent cette lecture font preuve d’une belle hypocrisie. Si « les dieux », ce sont les champions du monde français de 1998, n’était-il pas excessif de les qualifier de la sorte ? A plus forte raison pour la génération de joueurs chargés de leur succéder ? Il est logique et sain que ces joueurs aient voulu « tuer les pères » en tentant à leur manière de faire oublier les Zidane, Thuram, Makelele ou Pires. Ils ont pour l’instant nettement échoué mais n’ont rien profané ou désacralisé. Revenons à des justes proportions : il ne s’agit que de foot et de joueurs qui ont raté leur mondial. L’engagement militaire français en Afghanistan est, lui, réellement profanateur et désacralisateur quant au respect de la vie humaine ! Sur ce thème, on ne risque pas de voir TF1 ou France Télévisions consacrer une demi-heure de leurs JT respectifs … »

– Fallait-il « demander pardon » aux Français, multiplier les communiqués, le pathos ?

« La grève de l’entraînement », le blocage du bus, ce n’est quand même pas Sétif ou Gorée ! En France, lorsqu’il s’agit de parler décolonisation, racisme, discrimination, on dit « ça suffit ! » Mais quand les Bleus dérapent, les mêmes qui dénoncent la « tyrannie de la repentance » exigent des joueurs, de l’auto-flagellation, des excuses publiques ou des auto-critiques comme du temps de l’ex-URSS ou de la Chine de Mao !  

Deux poids, deux mesures ? 

« On ne peut mieux le dire : c’est exactement cela ! Les Zemmour, Finkielkraut, Kelman, Askolovitch et autre Bruckner dénoncent une obligation de repentance fantasmée dès qu’il est question de revendications et de mémoires maghrébine et afro-antillaise, mais exigent, en revanche, le repentir public de ceux qu’ils désignent coupables d’avoir « diminué » l’image de la France. Le principe du deux poids deux mesure caractérise foncièrement  leur mode de pensée. Pour eux, il y a les Français blancs, judéo-chrétiens et membres ou proches de l’élite politico-médiatique puis, il y a les Français basanés et noirs, musulmans ou non, originaires des banlieues. Entre ces deux groupes, c’est « l’égalité zéro » selon une hiérarchisation socio-racialiste héritière de Gobineau. Les premiers doivent bénéficier de tous les égards, pistons, compréhensions en cas de dérapage et tribunes médiatiques. Les seconds sont toujours suspects de non intégration ou de violences, doivent doubler voire tripler leurs efforts pour démontrer leur valeur et n’ont que rarement voix au chapitre ou dans des conditions tronquées qui ne permettent pas de s’exprimer sérieusement. Lorsque les footballeurs ou d’autres personnalités « gagnent » et ne revendiquent rien, les exaltés de la repentance se taisent. Mais si les mêmes « perdent » ou contestent avec éclat l’ordre injustement établi, les communautaristes blancs sortent leur machine à lyncher. C’est le grand défi de notre siècle tel que l’a admirablement  souligné Aimé Césaire : les afro-européens n’ont d’autre choix que de lutter pour conquérir leur citoyenneté à part entière afin de cesser d’être des citoyens entièrement à part. »            

– Pour Emmanuel Petit, on « fait payer » aux joueurs les défaillances des politiques. On leur demande d’assumer ce que le gouvernement refuserait d’endosser.

En d’autres termes : se substituer à l’Etat. C’est-à-dire, de rassembler. Et apporter aux Français « du bonheur », « du bien être ». Chose que l’Etat ne ferait plus. 

« Comme tous ceux qui réfléchissent honnêtement, Emmanuel Petit a parfaitement  décelé cette politique du bouc émissaire. Et je salue sa volonté de le dire publiquement. Néanmoins, pour certains acteurs de cette politique, je crois qu’il s’agit davantage de récupérer une déception populaire pour faire diversion de problèmes autrement plus sérieux. Et pour d’autres, comme d’habitude, tenter de convaincre du bien-fondé de leur haine à l’égard de cette « deuxième France ».

Excepté ceux qui défendent une conception paternaliste de la politique, personne n’attend que l’Etat apporte du « bonheur » ou du « bien-être » aux gens. On attend de l’Etat qu’il assure le bon fonctionnement des institutions publiques au bénéfice de tous, lutte contre l’insécurité sociale, favorise la création d’emplois et assure une juste répartition du produit de la richesse nationale. Objectifs que ne poursuit pas Sarkozy en convoquant Thierry Henry en colloque singulier. Idem pour les députés qui ont auditionné Raymond Domenech à l’Assemblée Nationale. Même au niveau du symbole (électoraliste ou non), c’était pitoyable. En Belgique, on a beaucoup ri de l’épisode ! A la sortie des deux heures d’audition, un député français a eu cette phrase : « On n’a rien appris !». Tu m’étonnes ! Il suffisait d’écouter les interviews de ce sélectionneur pour éviter de perdre son temps. Sur le coup, en termes de surréalisme, vos représentants politiques ont battu les nôtres, pourtant champions d’Europe en la matière… »

– Les commentateurs sportifs, les journalistes disent de moins en moins : «  l’équipe de France » mais plutôt « la France ».

Comment expliquer ce glissement sémantique ?

Renouveau du patriotisme ? Politisation du football ou influence du sarkozysme dans l’analyse journalistique ?

« Ce glissement sémantique participe du processus d’identification mais montre aussi une volonté de démultiplier l’importance de l’évènement. C’est « tout le pays » qui est sur le terrain pour gagner. Cette volonté d’implication de toutes et tous visant à l’exaltation du sentiment national  lors d’événements sportifs a toujours existé. Quel que soit le pouvoir en place. L’ex-Premier ministre Lionel Jospin, en bon amoureux du rugby, n’appréciait guère le football. Lors de la Coupe du monde 1998, il n’a pu faire autrement que de donner l’impression du contraire. Cette exaltation patriotique des médias n’est pas dangereuse en soi s’il existe un espace médiatique plus important pour le traitement des sujets cruciaux. A l’occasion de cette Coupe du monde, on a bien vu que ce n’était pas le cas en France. C’est donc inquiétant … »       

– Comment analysez-vous le positionnement de Lilian Thuram dans « l’affaire du bus » ? Il demande « la tête d’Evra », condition sine qua non de son maintien au conseil fédéral.

Il reproche aussi à « cette équipe de France » d’alimenter le racisme, la mixophobie.

Vrai, faux ? 

« C’est l’un des épisodes les plus tristes de cette affaire. Lilian Thuram qui dépasse sur sa droite le discours médiatique dominant en exigeant « l’exclusion à vie » de Patrice Evra de l’équipe de France … Excessif, injuste et lamentable. Thuram est tout de même bien placé pour connaître le fonctionnement calamiteux de cette Fédération qui a notamment conduit à maintenir un incompétent tel que Domenech. Punir à vie Evra améliorait-il quelque chose aux dysfonctionnements structurels de la FFF ? Chacun sait que non. Alors, s’agit-il d’un positionnement opportuniste ? A-t-il été conseillé, voire manipulé, ou est-ce une décision personnelle mûrement réfléchie ? Le problème, c’est qu’il est connu pour être un homme réfléchi, capable de critiques mais prudent dans ses prises de parole. C’est en tout cas l’impression qu’il m’avait laissée lorsque je l’avais interviewé en 2007 après la victoire de Sarkozy aux présidentielles.

Quoi qu’il en soit, les arguments moraux que Thuram a avancés ne tiennent pas la route. Son  positionnement ressemble davantage à une stratégie de séduction auprès des instances de la Fédération française de Football et ses soutiens politiques afin d’obtenir un poste prestigieux dans ce milieu.

C’est ce que dit Dugarry !

Si cette hypothèse s’avère la bonne, Thuram a commis sa première faute politique d’importance. Comment a-t-il pu, au mieux, ignorer, au pire, récupérer le climat négrophobe et anti-banlieues polluant cette affaire ? Se rêvait-il d’un destin « à la Platini », en oubliant qu’aux yeux des autorités du foot français, il est plus important d’être né avec l’épiderme de Platini que d’avoir qualifié les Bleus en finale de la Coupe du monde 98 ? »

Lilian Thuram s’est donc « vautré » selon vous ?

« Son coup de poker à la Domenech » lui aura fait perdre sa crédibilité de leader d’opinion auprès des Français sans pour autant atteindre le bénéfice personnel qu’il visait. C’est une leçon de réalisme pour Thuram : rarement un « soldat zélé » est désigné « Roi » par les gardiens d’un système… »

 

– La commission de la Fédération française de football a suspendu Anelka pour 18 matchs alors qu’on sait que les propos mis en Une par le journal L’Équipe n’étaient pas exactement le siens. Elle vient donc de mettre un terme à sa carrière avec les Bleus.

Ne trouvez-vous pas que cette décision a comme un parfum de sentence ?

On dirait une peine incompressible prononcée en Correctionnel à l’encontre d’un individu, jugé trop dangereux pour la société ! 

« Heureusement pour Anelka, la FFF a mis un terme à sa carrière en équipe de France. Pas à sa carrière de joueur. Cette sanction est évidemment excessive et confirme le fonctionnement opaque et mafieux de la FFF. Même si c’est chose courante dans le foot, Anelka devait être sanctionné après avoir insulté son entraîneur. Ce qui a eu lieu puisqu’il a été exclu de l’équipe pendant la Coupe du monde. Après, fallait-il encore s’acharner sur ce joueur alors que la responsabilité de l’échec est collective et pèse davantage sur ceux qui ont réellement le pouvoir de changer les choses ? Je ne le pense pas. Cela montre une fois de plus, la bêtise des instances de la FFF qui jugent un homme à partir d’une « Une » dont il n’est pas responsable. C’est d’autant plus injuste et corporatiste si, comme certains joueurs l’affirment,  c’est Domenech qui aurait lui-même relaté son altercation avec Anelka aux journalistes de l’Equipe …

In fine, comme pour Eric Cantonna dans les années 1990, beaucoup d’officiels du foot français reprochent surtout à Anelka de ne pas fermer sa gueule et de défendre ses convictions. Comme tous les grands artistes, finalement. Dans le football français, les hommes entiers et rebelles, on les flingue ! C’est absurde et contre-productif. Personnellement, j’estime qu’Anelka a exprimé en « termes fleuris » ce qu’une majorité des passionnés de foot avaient envie de dire à Domenech.

Est-ce que c’est grave ? Beaucoup moins que d’avoir rendu possible cette situation … »

– Les Guignols ont rendu hommage à Anelka !

« Vous voyez ! »

 

Propos recueillis par Paul Moffen (Afiavimag)

Olivier Mukuna est l’auteur de Dieudonné à cœur ouvert ; Egalité zéro. Enquête sur le procès médiatique de Dieudonné.

Il a aussi réalisé Est-il permis de débattre avec Dieudonné ?

*FFF : Fédération française de football.

 

 

 

 

 

 

 

 

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