Elvire Adjamonsi, l’amazone à Bangui

 Bénin

Culture/Cinéma/Média

Elvire Adjamonsi, commençons l’entretien, si vous le voulez bien  par cette actualité brûlante puisque vous êtes par ailleurs béninoise de nationalité, 28 femmes vont désormais siéger à l’Assemblée Nationale de votre pays ; comment réagissez-vous à cet événement sans précédent ?

Bravo aux politiques ! D’habitude, je ne m’inscris pas trop dans la discrimination positive. Je dois avouer cette fois que la loi qui a permis cela a été bien pensée ; je suis contente du résultat. 28 femmes sur 109 députés, ce n’est pas assez  mais c’est déjà quelque chose. Je souhaite à présent qu’elles soient mieux outillées car la population sera très déçue si elles ne jouent pas bien leurs rôles de représentantes du peuple. Nous avons besoin de femmes bien engagées.

Vous touchez presque à tout dans l’environnement socioculturel, comment arrivez-vous  à passer d’un domaine à un autre avec autant d’efficience ?

Sourire… Au départ, je voulais juste évoluer dans le milieu culturel et j’ai dû me battre pour.  Chemin faisant, je me suis retrouvée en Centrafrique où j’avais travaillé comme administratrice du Centre culturel Espace Lingaterre de 2001 à 2004. Nos activités à l’époque se focalisaient uniquement sur la culture, notamment la formation, la production et la promotion d’œuvres artistiques. Suite à l’insécurité qui règnait au lendemain du  coup d’état du 15 mars 2003, j’ai dû quitter le pays. Quand je suis retournée là-bas en 2017, j’ai retrouvé un pays de plus en plus enfoncé dans la misère. C’est à ce moment là que j’ai compris que la culture doit aider au développement socioéconomique auquel un pays aspire. Je me suis donc retrouvée à toucher à tout. Mais je dois à la vérité que j’aime explorer les univers aussi difficiles qu’ils puissent être.

Vous avez dirigé une radio à Bangui en Centrafrique, racontez-nous un peu votre expérience en la matière dans ce pays en proie à la guerre.

Il s’agit de la radio culturelle communautaire Linga FM qui a été créée au départ pour relayer les activités de l’Espace Lingaterre et assurer la promotion des artistes centrafricains. J’étais repartie à Bangui en 2017 pour travailler sur les activités de l’espace, notamment dans la production d’un documentaire sur la diversité culturelle en Centrafrique. Mais après la sortie du film, j’ai été sollicitée pour diriger la radio Linga FM. Imaginez une femme d’Afrique de l’Ouest entrain de diriger des journalistes d’un pays en guerre. Je ne donnais pas cher de ma peau. Mais comme j’aime les défis, j’ai pris le temps de leur prouver qu’un responsable doit être respecté qu’il soit homme ou femme. Je suis donc restée à la tête de cette radio jusqu’en 2022.

La réalisatrice à succès que vous êtes pratique t-elle l’autocensure ?

Non ! Toutefois, je suis plus inspirée par des sujets liés aux événements qui m’ont marquée.

Y a-t-il encore des sujets tabous aujourd’hui en Afrique ?

Je dirai oui. Mais cela dépend surtout de la société dans laquelle on évolue.

Quel accueil vos pairs et le public en général ont réservé à votre long métrage ?

Il s’agit de Sessi que j’ai produit et réalisé en 2013. C’est l’histoire d’un garçon de 12 ans, orphelin de père, qui a été obligé de se prendre en charge lorsque sa mère, atteinte du virus du SIDA et qui avait peur du regard de la société, a préféré l’éloigner d’elle en l’envoyant vivre chez sa grand-mère. Il faut dire que ce film a été bien accueilli en Afrique comme en Europe. Il a reçu la mention spéciale du jury au festival Lumières d’Afrique de Besançon et a été programmé au festival de court métrage de Vaulx-en-Velin.

Vous avez également une série en cours de production, visiblement vous ne manquez pas de moyens pour réaliser vos projets ?

Le financement n’est facile nulle part. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu lors de la sélection des dossiers pour les financements. Je n’ai pas reçu des financements que pour le cinéma, j’en ai reçu aussi pour des activités communautaires et pour des événements artistiques et culturels.

Pour ce qui est de la série policière Bangui Unité Spéciale sur la thématique des violences, il y a 8 épisodes de 52 minutes. Nous avons fini le tournage mais jusqu’à présent, nous n’avons pu sortir que 3 épisodes et nous avons du mal à finir les 5 autres en postproduction. La plupart des chaînes de télévision qui se créent au jour le jour n’achètent pas les programmes, surtout quand ce sont de nouveaux programmes. Elles préfèrent attendre des années après pour l’avoir au prix réduit. Allez maintenant leur demander de préacheter votre programme ! Je vous l’assure, aucun financement n’est facile.

Que pensez-vous des possibilités de diffusion offertes par les technologies de l’information et de la communication ?

C’est vrai que les TICS nous permettent aujourd’hui d’avoir des plateformes de diffusion, ce qui facilite un peu les choses mais en réalité, le piratage est toujours possible. Du coup, on n’est pas sorti de l’auberge.

Pour un bilan d’étape, que pouvez-vous taxer de succès ou d’échecs dans votre parcours ?

Franchement, je ne fais pas ce genre de bilan. Chaque fois que je mène une activité, je tire les leçons de tout ce qui est raté.

Avez-vous des regrets ?

Aucun.

Georges Bada (Afiavimag)

 

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