Régulièrement ces dernières années, on a pu lire dans la presse ou entendre à la télévision des commentaires concernant des œuvres extra européennes du type : « on dirait une sculpture de Brancusi » ou « cela ressemble à un Giacometti ». Comment analyser ce curieux renversement du regard, cette forme d’appropriation par l’Occident de créations qui lui sont étrangères. Au-delà d’un ethnocentrisme récurrent propre à nos cultures, ne peut-on paradoxalement pas voir dans ce phénomène, une évolution dans la reconnaissance formelle de ces arts lointains.
Nul n’ignore aujourd’hui l’impact des « Arts Premiers » sur la naissance de « l’Art Moderne ». Qualifiés « d’arts Nègres » au début du XXe siècle, les productions d’Afrique, d’Océanie ou des Amériques influencèrent profondément les artistes de l’époque, Picasso, Braque, Matisse, Derain, Vlaminck, Gris, Modigliani…mais aussi les grands courants artistiques du tournant du siècle, primitivisme, cubisme, fauvisme, expressionnisme. La créativité et la force plastique de ces productions donnaient à chacun des clefs pour sortir de l’imitation classique de la nature et explorer des voies nouvelles qui allaient déclencher l’un des plus grands bouleversements de l’histoire de l’art occidental.
Cette révolution fut cependant largement rejetée voire complètement ignorée dans ses débuts par la critique et le grand public. D’un côté des productions exotiques, qualifiées de barbares, grossières et arriérées et de l’autre des créations nouvelles incomprises et méprisées.
Avec le temps cependant, les productions de l’Art Moderne ont finies par envahir notre quotidien et entrer dans nos représentations collectives. Les formes cubistes, les couleurs fauves, les distorsions expressionnistes, ont envahi notre environnement (architecture, publicité, mode, télévision…) et cette plastique nous est devenue familière au point qu’elle nous parle lorsque nous la retrouvons dans les objets d’Art Premier dont la reconnaissance de la valeur esthétique ouvre la porte à la découverte de la richesse culturelle de l’autre.
De leur côté les cultures du monde ont largement pénétré nos sociétés, qu’il s’agisse de création plastique, de danse, de musique, de littérature, de cinéma, etc. Les travaux ethnologiques et sociologiques, les reportages, les expositions de plus en plus abouties dans leurs approches esthétiques et scientifiques amènent à une meilleure compréhension de civilisations longtemps ignorées.
Désormais notre perception artistique imprégnée par l’Art Moderne reconnaît d’emblée l’extraordinaire créativité formelle de ces œuvres. Voila qui nous laisse espérer dans un avenir proche un nouveau type de commentaire, devant une sculpture de Henri Moore par exemple : « on dirait un couple Dogon » ou encore face à un portrait de Modigliani : « cela ressemble à une figure Baoulé ».
Paul Matharan