DES NOIRES BLANCHES ET DES BLANCHES NOIRES

 

La différence physiologique essentielle entre les peaux «noires » et « blanches »tient a l’abondance et a la répartition du pigment mélanique. Celui-ci est le même pour tous types de peaux sauf pour les sujets roux. Le nombre de mélanocytes ne sembles pas différer non plus quelque soit  le sujet. C’est de l’activité mélanocytaire que dépend en revanche le degré de pigmentation cutanée, à travers la taille, le nombre et le contenu en mélanine des mélanosomes (granules spécialisés) et surtout leur diffusion aux kératinocytes(cellules jointives de l’épiderme). Une particularité morphologique de la peau noire est en effet la présence de mélanosomes dans les kératinocytes des couches supérieures de l’épiderme, alors que chez les blancs, seules les couches les plus profonds en contiennent. A l’intérieur les Noirs sont donc « blancs »alors que les sont « Noirs » ! N’y voyez pas un jugement de valeur-Agir à l’extérieur, permettrait ainsi de se retrouver soi-même, de coïncider enfin avec son être profond. On croirait que l’explication des phénomènes d’éclaircissement de la peau sombre et de bronzage de la peau blanche  participe d’un fantasme commun de retrouvailles de son être profond à partir du souvenir du corps premier, et de la couverture qu’il aurait dû endosser. La vérité est ailleurs. Au-delà des motivations psychologiques parfois justifiées, il faut surtout interroger les raisons socioculturelles.

Le bronzage comme décision d’abandonner la couleur porcelaine de sa peau en lui substituant un teint plus mat est apparu au début de 20è siècle. Avant cette époque, « prendre des couleurs » n’était pas un signe de distinction sociale positif. Le visage hâle caractérisait en effet le paysan ! Avec la culture de la plage et des vacances au soleil, le bronzage est devenu un signe social positif, apanage de l’aristocratie. Les congés payés ont ensuite démocratisé la pratique en en faisant une référence commune. Le tient blanc, fierté des classes « supérieures » et  objet de convoitise des classes laborieuse est aujourd’hui vu comme signe de fragilité. Blancheur rime avec pâleur ! Le teint mat est de nos jours pour la peau, la référence esthétique la plus confirmée. Plusieurs crèmes autobronzants ont été inventées pour rester bronzé toute l’année alors que des machines à distillation de rayons ultra-violes vous permettent de prolonger à volonté le hâle.

acné222222L’éclaircissement de la peau participe d’une même action volontaire visant cette fois à déteindre la couleur de sa peau. Ici, il s’agit de substituer au noir une couleur quelque peu blanche. Ce phénomène est apparu en Afrique a la fin des années 60 et se pratique depuis lors dans plusieurs régions. Dans ces pays, le phénomène est pourtant loin de faire l’unanimité. La différence avec le bronzage réside donc là.

L’éclaircissement de la peau n’est pas un phénomène social total. « Tchatcho «  au Mali « bojou »au Bénin, « xessal » au Sénégal et « kobwakana » ou « kopakola » dans les  deux Congo expriment avec un ton péjoratif explicite l’action conduisant à « blanchir » sa peau. Le fait que ce soit en majorité les femmes qui s’y livrent s’explique par un contexte sexiste, bien que ce soit une tendance qui est loin de recueillir l’assentiment social général. Par l’interdiction de la publicité de Boby Light, Skin Light, Méti’cée, Clair total, Vit-fée et autres produits éclaircissant est prononcé un désaveu d’une pratique qui reste encore marginale. Par ailleurs, l’éclaircissement de la peau s’enracine lui aussi dans un terreau socioculturel bien trempé et profond.

Le journal Hebdo de Ouagadougou rapportait en Octobre 2004 les propos suivants d’une jeune femme trentenaire répondant  à la question « Pourquoi vous éclaircissez-vous la peau ? » : « Vous-même vous savez que nous sommes à Ouagadougou et les Mossis aiment les femmes teint clair », répond-elle ! Chez les Moba-Gurma du Togo il est un adage : « Quand une femme n’est pas belle, qu’elle soit au moins claire ». Sans vouloir généraliser, il semblerait que chez plusieurs peuples ce fantasme de la peau claire existe. »… Une femme claire est par essence une femme jolie et belle. « Chez nous, on dit que même si une femme claire n’est pas belle (de visage), ses cuisses sont jolies, et c’est l’essentiel. Donc moi ma femme doit d’abord être claire … », disant un homme à qui l(on demandait son avis. Dans tous les cas, il semblerait que près de 90% des femmes qui utilisent des produits éclaircissants sont persuadées que les hommes préfèrent les femmes claires, un peu comme on a l’habitude en Occident d’entendre que les hommes préfèrent les blondes. Certaines d’entre elles soutiennent que les femmes de teint clair ont plus de chance de trouver un mari ou un petit ami.

Le diplomate (hebdomadaires guinéen) rapporte les propos d’une guinéenne : « Moi j’utilise les pommades éclaircissantes pour me rendre belle. J’ai constaté que les hommes préfèrent les femmes de tient clair. Avec un teint plus éclaircissant, j’aurai ma place aussi dans leur cœur. C’est sans faute ». « C’est la peau qui attire aujourd’hui les hommes. Ils préfèrent  les femmes qui  brillent sous le soleil. Nous autres, avons très peu de chance,  se lamente Vivita de Lomé, dans les termes que rapporte Kouma Laurent Dekalikan sur le site de l’AEDEV en Mars 2005. « En tout cas, nous n’avons plus d’autres choix que d’éclaircir notre peau, si nous voudrons vraiment vivre sous le toit d’un homme », renchérit Elyse, la copine de Vivita. Ce désir devenu une contrainte s’exprime également au Bénin. Bella dit avoir commencé à pratiquer l’éclaircissement de la peau parce que : « mon copain m’a traitée de sauvage et il m’a laissée tomber par la suite pour aller chercher une fille claire. Comme je l’aimais, j’ai commencé à me dépigmenter pour aller le reconquérir… »Quoi qu’il en soit, les vertus esthétiques de l’éclaircissement de la peau semblent bien ancrées. Les publicitaires exploitent d’ailleurs très habilement ce fantasme. « Vit-fée »fait miroiter aux yeux des dames l’espoir qu’elles deviendront vite fées en utilisant la crème de ce nom. Fée ou zèbre ? Le fait est que si le bronzage unifie le teint et dissimule les imperfections, l’éclaircissement de la peau ne rend la peau ni de teint clair ni de teint noir. On Obtient bien souvent l’apparition d’une multitude de tâche indélébile, une « peau léopard » qui vous défigure et vous isole. Les conséquences de l’action de l’homme sur la nature sont souvent plus désastreuses que bénéfiques. Un bronzage mal maîtrisé entraîne à court  terme une brûlure profonde de la peau voire à long terme l’arrivée d’un cancer ! L’éclaircissement suppose une dépigmentation de la peau et à terme un cancer également. Dans les deux cas, la peau se fragilise, perd de sa résistance et interdit toute intervention chirurgicale.

Est ce que ca vaut la peine de risquer sa vie pour une cause aussi futile ? Les hommes qui apprécient les femmes claires n’aiment pas spécialement les «claires devenues ». De plus «une femme, ce n’est pas le teint, c’est le caractère »disait une mère à sa fille. Faut-il trouver la cause de ce fantasme et de cette pratique dans un traumatisme post-colonial dans un complexe d’infériorité ? C’est la thèse soutenue par Ferdinand Ezembe, psychologue à Paris spécialisé dans la psychocologie des communautés africaines :

Cette attitude des noires par rapport à la couleur de leur peau, procède d’un profond traumatise post-colonial. Le blanc, symbolise par sa carnation, reste inconsciemment un modèle supérieur. Par étonnant dans ces conditions qu’un teint clair s’inscrive effectivement comme un puissant critère de valeur dans la majeur partie des sociétés africaines. D’ailleurs, ce sont les pays aux passés coloniaux les plus brutaux qui affichent le plus une attirance pour les peaux claires. Dans les deux actuels Congo, même les hommes s’y mettent et travaillent, comme leurs compagnes, à parfaites leur teint. Il faut même rajouter à cela, influence majeur du christianisme en Afrique. La représentation exclusivement blanche des grandes figures de la bible a forcément affecté les peuples noirs dans leur inconscient. Cette idée est renforcée par l’allégorie des couleurs dans l’univers chrétien, basée sur des oppositions entre le clair et l’obscur, les ténèbres et les cieux, où le noir s’oppose toujours à la pureté du blanc. Ce phénomène est si profond qu’il va même plus loin que le simple blanchiment de la peau […] Toutes les sociétés noires subissent le joug d’un culte de la blancheur. Les Africains ne se sont pas affranchis d’un poids colonial qui pèse de tout son poids sur leur propre identité ».

Si l’éclaircissement de la peau et le défrisage des cheveux révèlent tous les deux une formes de dénégation de l’identité, ils ne sont cependant pas à mettre sur le même plan. L’admiration du teint clair précède certainement la période coloniale. La période moderne n’a pas fourni une référence mais les moyens artificiels pour l’avoir. De plus, la couleur dont il s’agit dans les langues africaines c’est le rouge et non le blanc. On se rougit la peau, on ne se blanchit pas. C’est donc l’interprétation elle même qui semble soumise à un complexe ou un à traumatisme.

Le bronzage et l’éclaircissement de la peau participent d’un processus de détournement de significations traditionnelles lié au brouillage des identités. Africains perdent leur sens premier pour prendre une charge nouvelle qui se monnaie dans les salons esthétiques où se rencontrent tatouages, piercings, peinture corporels, vêtement et autres décors empruntés à la culture mondialisée.

Etienne Damome (Afiavimag)

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