Pour le Cinquantenaire des Indépendances Africaines, Musanji Ngalasso Mwatha évoque une forme d’avenir pour l’Afrique en général et ses ressortissants en particulier. Il développera son point de vue, les 16 et 17 septembre, lors de la conférence internationale « Nouvelles générations africaines : regards d’avenir » à l’Athénée municipale de Bordeaux
2010 a été l’année de commémoration des indépendances africaines. Quel bilan tirez-vous de ces célébrations ?
Dans la majorité des pays, ce cinquantenaire a consisté à organiser des manifestations populaires de toutes sortes pour «fêter» les indépendances acquises en 1960. On a pu s’interroger, avec raison, sur l’opportunité de ces festivités alors que la plupart des pays africains sont au bord de la faillite, que les économies sont exsangues, malgré un taux de croissance relativement soutenu depuis quelques années, que les populations manquent du minimum vital en matière d’alimentation, d’éducation et de soins médicaux. Il demeure néanmoins tout à fait légitime de célébrer les indépendances. Mais se contenter de la fête est insuffisant : le cinquantenaire doit être le moment de se remémorer cet immense événement qu’est la libération du joug colonial, mais il doit être aussi le temps d’une réflexion profonde pour dresser un bilan sans complaisance des actions accomplies depuis cette date historique et d’engager, avec lucidité, une mise en perspective de l’avenir. Certains pays se sont engagés dans cette voie de la réflexion : c’est le cas, par exemple, du Bénin qui organise, en novembre prochain, un symposium international sur le thème «L’audace, unique défi pour une Afrique nouvelle». Il est temps de se rendre à l’évidence : le bilan des indépendances, souvent purement nominales, est calamiteux. L’Afrique demeure le continent le plus pauvre de la planète, le plus dépendant de l’étranger, le plus assisté financièrement, le plus dominé politiquement, économiquement et culturellement. S’en sortir exige de l’audace : l’audace des dirigeants africains de prendre en main les affaires de leurs pays en toute responsabilité, de s’émanciper de la tutelle des anciennes puissances coloniales avec lesquelles ils entretiennent actuellement des relations exclusives, d’établir avec elles des rapports décomplexés d’Etats à Etats et de diversifier les partenariats avec des acteurs publics et privés en provenance de tous les coins de la planète, y compris des puissances émergentes d’Asie, d’Amérique ou d’ailleurs. L’audace de reconnaître la part de responsabilité des pouvoirs africains dans le retard pris par le continent durant le dernier demi-siècle dominé par l’incurie, la gabegie, la corruption, la malgouvernance. L’audace de promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance. L’audace de mettre les populations au centre de leurs préoccupations. L’audace d’engager des initiatives susceptibles de mobiliser les énergies et les ressources intellectuelles qui ne manquent pas sur le continent. L’audace d’améliorer la qualité de l’enseignement à tous les niveaux, d’encourager la recherche scientifique et l’entreprenariat local en faisant confiance aux nouvelles générations d’Africains. L’audace d’attirer, par tous les moyens, les investissements privés en provenance de l’extérieur dans le cadre d’une coopération fondée sur l’égalité et l’équilibre dans les échanges. L’audace enfin des citoyens de refuser toutes formes d’asservissement et de mise à genoux.
Il est largement question de l’avenir de l’Afrique, à tout point de vue. Est-on réellement en train d’impluser cet avenir, ou bien, comme le soutien l’association « survie », d’instaurer une autre forme de « Françafrique »?
Que des puissances extérieures s’intéressent à ce continent immensément riche n’a rien d’étonnant. Qu’il existe des tentatives visibles et invisibles, des manoeuvres de l’ombre pour instaurer ou perpétuer une main-mise sur les ressources naturelles stratégiques pour les pays industrialisés ou en voie de l’être, cela n’est pas surprenant. Mais l’avenir de l’Afrique appartient d’abord aux Africains. C’est à eux à définir ce qu’ils veulent être, avoir et devenir. Il leur revient d’oeuvrer au mieux pour leurs propres intérêts. C’est à eux à choisir leurs partenaires pour la réalisation des objectifs qu’ils se fixent pour le développement du continent et son bien-être. C’est à eux à promouvoir les valeurs culturelles africaines, qu’il s’agisse des langues, des arts ou des littératures, dans un esprit non pas d’exclusion des apports en provenance de l’extérieur mais d’équilibre et d’ouverture. Les pratiques coloniales ou néo-coloniales ont la vie dure et les moyens utilisés pour parvenir à leur but sont de plus en plus raffinés. La politique africaine conduite en France depuis 2007 montre clairement que, malgré les proclamations discursives et électoralistes, la rupture avec les vieilles traditions françafricaines n’a pas eu lieu. Mais la dépendance n’est pas une fatalité. Au-delà des rapports diplomatiques et commerciaux entre les Etats qui ne sont pas toujours porteurs de développement, il est opportun d’encourager les investissements privés, nationaux ou étrangers, et des formes plus dynamiques de coopération, par exemple entre les entités régionales ou les grandes métropoles urbaines. Mais, encore une fois, c’est aux Africains de se déterminer par rapport à leurs partenaires, d’accepter ou de refuser les formes pernicieuses de coopération qui leur sont proposées de l’extérieur : l’indépendance, c’est-à-dire la liberté, ne s’octroie pas. Elle ne se négocie pas non plus. Elle se conquiert.
Il a été largement question d’ « immigration choisie ». Cela revient-il à dire qu’après le pillage de ses ressources naturelles, l’Afrique va-t-elle se voir dépouiller de ses talents potentiels ?
Si immigration choisie veut dire « décision individuelle » de partir de son pays pour s’établir librement dans un autre pays, cela ne me choque pas. Le droit d’aller-et-venir, en particulier le droit d’asile, est un droit fondamental des gens reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations Unies et par toutes les conventions internationales. La notion d’immigration choisie devient dangereuse si elle consiste, pour le pays hôte, à choisir, de façon discrétionnaire, parmi ceux qui se réfugient sur ses terres, ceux qu’il accueille et ceux qu’il rejette. Si l’immigration choisie veut dire accueil chez soi des seuls riches (en moyens matériels ou intellectuels) et renvoi chez eux des pauvres, cela devient proprement inacceptable. Le renvoi en masse des communautés ethniques clairement désignés est encore plus intolérable.
De nombreux chefs d’Etat préparent le terrain du pouvoir à leurs fils. N’est-ce pas une façon de donner raison à ceux qui disent que l’Afrique n’est pas suffisamment entrée dans l’histoire ?
Oui, de plus en plus de chefs d’Etat africains préparent leurs progénitures à prendre les rennes du pouvoir à la suite de leur propre mandat qui n’a de limite que leur mort. Il ne s’agit plus de fictions ou de simples projets mais de pratiques qui rentrent progressivement dans les faits. Cela est inquiétant. Ces formes d’intronisation autocratique sont des dérives antidémocratiques assimilables à des coups d’Etat permanents. Elles doivent être combattues par tous ceux qui sont épris des idéaux démocratiques. Mais les protestations purement discursives ne suffiront pas à enrayer le phénomène tant que ne seront pas mises en place des institutions législatives fortes susceptibles de protéger les sociétés africaines contre ces avatars de la dictature incarnés par des hors-la-loi. Se baser sur ces aléas pour affirmer que l’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire c’est faire montre d’ignorance de l’histoire et de cécité intellectuelle : toutes les sociétés, depuis la plus haute antiquité et quel que soit l’espace considéré, ont connu ces dérives monarchiques et la tentation facile de déposséder le peuple de la souveraineté qui lui revient naturellement.
Propos recuillis par Soraya Rebah (Afiavimag)