Pr Honorat AGUESSY Directeur-Fondateur de (IDEE) (Article publié 2014)

OPINION : XVe SOMMET DE LA FRANCOPHONIE

En prélude au XVe Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage, prévu à Dakar du 29 au 30 novembre 2014 sous le thème « Femmes et jeunes en Francophonie : vecteurs de paix et acteurs de développement», Afiavi magazine a recueilli les impressions du , forte personnalité de la société civile africaine et Directeur-Fondateur de l’Institut de Développement et d’Échanges Endogènes (IDEE). Entretien à bâtons rompus.

Professeur, merci de nous recevoir ici à Ouidah au siège de l’Institut de Développement et d’Échanges Endogènes. Je voudrais me permettre une question toute simple pour introduire l’entretien : pour vous, c’est quoi la Francophonie ?

La Francophonie! Ah, merci de me poser cette question. J’aurais pu être naïf en disant tout de go : c’est le beau creuset de tous ceux qui utilisent la langue française quel que soit leur diversité de cultures. Car je ne peux pas croire qu’on veuille ou qu’on puisse imposer à tous ceux qui utilisent cette langue française, une seule culture. C’est quand même leur rencontre dans un berceau commun ; ah, pourvu que ce ne soit pas un bercail, qu’il n’y ait pas une idée préconçue derrière pour les attraper et les mettre au bercail, que ce soit un berceau permettant à chacun d’être lui-même tout en utilisant l’opportunité de la même langue. Mais comme rien ne se passe dans notre vie, dans les rapports entre continents, entre États, sans rapports de force, sans des pièges, je peux penser que la Francophonie a été  conçue avec des idées qu’on ne nous dévoile pas. On s’en tient tout simplement au principe de langue, pourvu que personne ne dise rien. La preuve, mon jeune camarade de propédeutique Abdou Diouf gère bien ce qu’on lui a confié et à propos de quoi il reçoit des instructions. Comme on a jamais rien fait dans le monde au profit de l’Afrique, je n’ose pas penser que c’est pour le bien de tant de territoires francophones que l’on a créé la Francophonie.

 Mais en revisitant le parcours de la Francophonie institutionnelle des origines à nos jours, trouvez-vous vraiment des éléments objectifs qui vous renforcent dans vos craintes ?

Ce qu’il y a d’objectif, c’est le manque de constat d’actes nodaux relatifs au bien de l’Afrique, à la promotion de l’Afrique, au succès de l’Afrique.

La Francophonie souhaite aller au secours du Burkina Faso à travers une mission d’information et de contacts. Est-ce une initiative de trop ?

Certainement, la Francophonie n’a rien à voir avec la politique ; il s’agit encore là d’une tentative politicienne visant à donner des injonctions. Depuis des décennies, je n’ai pas encore constaté d’actions percutantes porteuses de la part de la Francophonie surtout au plan politique. Il aurait fallu trouver un autre cadre, ce n’est pas à l’institution qui n’a aucune action porteuse à son actif de conduire tout un groupe pour une situation si importante où il faut beaucoup de dextérités et de circonspections pour appréhender les problèmes.

A la vérité, la Francophonie reste un mythe ?

Tel que ça s’est manifesté jusqu’à présent, cela ressemble bien à un discours faux, conçu pour tromper. Selon ma propre perspective, j’ai conçu l’Institut de Développement et d’Échanges Endogènes, mais je n’ai jamais vu la Francophonie venir s’enquérir de ce dont il s’agit et d’apporter telle ou telle contribution. Au contraire, on doit s’énerver d’entendre parler d’une telle initiative de la part d’un Africain, car l’Africain est là pour consommer, pour bénéficier dans l’apathie de tout ce que d’autres lui apportent.  Non, maintenant on prend les devants pour parler d’endogénéité, de ce qui vient de nous-mêmes, du plus profond de nous-mêmes et depuis des millénaires avant que ne naquit ce qu’on appelle aujourd’hui l’Europe. En Afrique, nous procédons à la saisie holistique car tout constitue un ensemble ; l’environnement est un ensemble, il n’y a pas d’herbes sauvages, il n’y a ni plantes ni arbres inutiles. Mais les autres ne peuvent pas penser cela avec nous, alors peut-on parler de Francophonie quand on ne sait pas que toute herbe est utile ? Quand je vois certains comme mon ami Abdou Diouf rester dans quelque chose de pareil pendant plus de dix ans, j’ose penser qu’il y a quelque chose là-dedans qu’on ne nous explique pas.

Et comment se porte aujourd’hui l’Institut de Développement et d’Échanges Endogènes ?

Il se porte bien, j’allais dire très bien ; parce qu’il ne dépend que de nos efforts pour aller plus loin, il ne dépend que de notre recherche permanente de l’excellence pour permettre à l’Afrique de jouer son rôle primordial, son rôle de berceau de l’humanité. C’est pour cela qu’après avoir géré au compte de l’Unesco le programme d’enseignement supérieur pour toute l’Afrique, j’ai décidé d’avoir moi-même ma compréhension des choses. Je suis d’ailleurs très content quand d’autres identifient ce lieu comme un cadre de réflexion. Nous avons accueilli récemment un atelier de réflexion sur les villes africaines, et je n’ai pas manqué de dire aux organisateurs qu’ils ont fait un bon choix en venant à Ouidah, 4e ville d’Afrique à l’époque selon Monseigneur Parisot.

Mais l’autre versant de Ouidah aussi, c’est bien la Traite Négrière…

Pour atteindre l’autre côté de l’Atlantique, les Africains étaient obligés de passer par Ouidah, porte océane de l’Afrique. Gorée n’a pas la même portée, c’est juste un lieu de passage. Mais alors, pourquoi la Francophonie ne prend-t-elle pas en compte la Route de l’Esclave ? Qu’est-ce qui est conseillé au Bénin ? En quoi a-t-on aidé le Bénin à bien gérer ce projet ? Nous avons bien conscience que rien ne peut venir du sommet, tout doit venir du souverain, c’est-à-dire la base. C’est pourquoi, avec nos propres moyens, nous avons initié sur la prétendue Route de l’Esclave, Zomatchi, pour dire que la lumière ne peut jamais s’éteindre, elle doit nous éclairer et nous permettre d’aller de l’avant ; ce qui est aux antipodes de Zomaï, c’est-à-dire que la lumière ne doit pas y aller, de peur de révéler l’identité de ceux qu’on souhaite arracher au lot d’esclaves prêts à être embarqués.

Que répondez-vous à cette vague d’intellectuels en Europe qui estiment qu’il n’y a pas eu de résistance en Afrique à la Traite Négrière ?

Mais il n’y a que de telles vagues en Europe. Les responsables de tels ou tels actes ignobles foncent après sur leurs victimes pour dire ci ou ça. Ils montrent toujours au monde leur double face. N’est-ce pas eux qui ont inventé le Code Noir déniant le statut d’humain à l’Africain ? Ils font tout avec une mentalité de prédateur. Il y a bien eu résistance en ce qui concerne le Dahomey.

« Femmes et jeunes en Francophonie : vecteurs de paix et acteurs de développement », qu’est-ce que cela vous suggère comme réflexions ?

La femme a toujours représenté pour nous un pôle très important pour la promotion des valeurs de la cité. Si nous nous en tenons à Abomey, elles n’ont pas joué la fonction de roi, et pourtant c’étaient elles qui devaient calmer les bagarres qui advenaient entre leurs enfants et d’autres au sein du royaume. Quand une femme parviendra au sommet ici, vous verrez comment les valeurs seront respectées, comment la paix va régner et resplendir au niveau de tous les morceaux d’Afrique. Pour les jeunes, observez ce qui s’est passé de tout temps en Afrique, si vous considérez la prise de conscience sur ce dont palissait l’Afrique, est-ce que tout n’est pas parti des jeunes ? Voyez comment la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France a vu le jour, qui est-ce que ces étudiants africains ont pu élire pour s’occuper de leurs problèmes de façon panafricaniste dans la nuit du 31 décembre 1952 au 1er janvier 1953 ? Le président qui a été élu était une présidente : Solange Faladé!

Professeur, encore quelques mots pour conclure cet entretien…

C’est le panafricanisme qui peut sauver l’Afrique, son siège mondial se trouve ici. Nous avons aussi en projet l’édification d’un lieu d’apprentissage des langues africaines à commencer par celle qui a permis à l’Unesco de publier l’Histoire générale de l’Afrique à savoir le swahili.

 

Propos recueillis par:

Augustin D’Almeida & René Georges Bada (AFIAVIMAG)

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