ÉGUN DU BENIN La difficile traversée des âges  

 

Dans la ritournelle de son célèbre poème  « Souffles », Birago Diop évoque à loisir les fondements du culte aux ancêtres  divinisés en Afrique:« les morts ne sont pas morts ». Au Bénin, la croyance aux morts revenants provient des yoruba venus du Nigeria voisin où la tradition situe l’origine des rites funéraires au XIVe  siècle. Oranyan, fondateur de la ville d’Oyo ayant trouvé la mort à Ilé-Ifè, berceau de la civilisation yoruba, son fils, le roi divinisé Shango, ne pouvant rapporter sa dépouille, décida d’y ramener au moins son esprit en organisant à Oyo une cérémonie particulière qui deviendra celle des Égun. Il s’agit d’un hommage des vivants aux défunts afin que ceux-ci accèdent à une vie meilleure outre-tombe pour revenir aider leur famille. Ainsi, les  Égun sont sollicités lorsque le climat familial se dégrade et interviennent pour y mettre de l’ordre. Ils sont aussi présents pendant les cérémonies de mariage, de baptême, d’inauguration de maison, de fêtes annuelles et surtout de décès. En principe généreux, ils sont capables du pire s’ils sont ignorés, délaissés ou sous-estimés.

La présence de familles et lignages yoruba au Bénin est étroitement liée aux migrations volontaires, à la traite et au système esclavagiste africain qui ont eu cours sur la « Côte des Esclaves ». Au Sud et au Centre du Bénin, on note aujourd’hui  beaucoup de lignages yoruba  adeptes d’Égun  mais aussi d’autres lignages, yoruba ou non, inscrits dans une autre tradition de culte aux ancêtres.

Malgré  la dynamique religieuse de la conversion au christianisme et à l’islam,  le culte des « revenants » est  pratiqué aujourd’hui dans de nombreux lignages par ceux qui y sont restés fidèles ou qui l’ont embrassé plus récemment. Une affiliation que bon nombre de gens cumulent avec une adhésion partielle au catholicisme ou, plus rarement, à l’islam.

Parmi les premières familles adeptes du culte à Ouidah, on retient les Olufade d’Almeida,  Assani, Alapini, de Souza, pour ne citer que celles-là. Entre 1920 et 1930, le nombre de familles adeptes du culte des revenants a augmenté progressivement. Dans les décennies suivantes, le culte a gagné des lignages se rattachant à d’autres traditions de culte aux ancêtres, comme  Ôrô, où les ancêtres reviennent sous la forme d’esprits faisant entendre des voix inarticulées et vrombissantes depuis des lieux réservés aux initiés.

Dans un contexte religieux fort marqué par  une logique de cumul des puissances, le culte Égun, a bien vite été adopté un peu partout au Bénin, avec des variances d’une région à une autre.

Toutefois, le relâchement des règles et interdits qui inspiraient jadis respect, crainte et admiration de cette pratique masculine à dessin, n’augure d’aucun lendemain gracieux. Bien des déviances contemporaines sont à souligner : l’exhibition de revenants sur des rythmes ivoiriens ou congolais, le recrutement d’adeptes allogènes, la cupidité et  les voies de fait. Par ailleurs la violente croisade  des nouveaux mouvements religieux chrétiens qui pullulent au Bénin maintient une pression plus pernicieuse que celle du celle de l’islam et du catholicisme contre les cultes endogènes.

Mais les adeptes d’Égun du Bénin sont bien conscients de la crise de croissance de leur culte. Déjà à Porto-Novo (capitale du Bénin) où les adeptes se sont constitués en association de défense de leurs intérêts, un règlement intérieur et des statuts codifient les activités de tous les couvents et les manifestations publiques des revenants.

Contrairement à l’orientation du régime révolutionnaire marxiste léniniste combattant toute forme de « mystification du peuple », le Renouveau démocratique en vigueur depuis 1990, appelant les béninois à un réarmement spirituel endogène a décrété le 10 janvier, Journée Nationale des religions traditionnelles en vue de la réhabilitation et de la sauvegarde du patrimoine cultuel et culturel national. Cela suffit-il à redresser la pente ?

 

René Georges BADA (Afiavimag)

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