La musique Antillaise est-elle en péril ?

Le mot « Zouk » signifiait surprise partie, mais les professionnels voulant coller un label de qualité à l’ensemble des musiques qui animaient ces fêtes, bals populaires et boîtes de nuit, combles tous les week-ends, imposèrent un genre, le « Zouk ». Il est devenu ce phénomène porteur de toute la musique créole. Quel meilleur support pouvait-on trouver pour rassembler enfin tous les enfants musiciens d’un peuple qui remonte au temps de l’esclavage ? De la diversité des musiques de colons voyageurs et d’ethnies importées d’Afrique naissent aux Antilles françaises des rythmes, des chants, des danses.

Beaucoup d’années se seront écoulées avant que ces musiques, restées sur la touche s’exportent en métropole ; des produits soumis à une standardisation effrénée, avec le gros handicap du manque de structures fiables pour leur développement. Vingt ans après que leurs premiers artistes furent reconnus, la relève doit encore s’effectuer au détriment d’une autoproduction forcenée pour attraper les clés du succès … des arts à l’ether de « Zouk » et des colorants.

Le « Zouk » est devenu un véritable business sous les tristes tropiques : on croyait qu’il rapporterait un temps plus que les bananes, la canne ou bien le rhum réunis là-bas. C’est dire aussi combien Kassav’ montrant les premières pépites d’or ramenées d’Europa a provoqué la ruée qui s’ensuivit sur ses traces où les dignes pionniers d’Eldorado les ont poursuivis, ouvrant les souks des Îles françaises n’ayant pas de pétrole ( !) mais un carburant qui a donné bien des idées locales à « Jojo » et Henry Debs, Freddy Marshall aux frères Nayaradou, Liso, & A Production, ou à d’autres producteurs étrangers. Les compagnons de la chanson antillaise quelques années plus tard s’en sont allés tenter la chance en France en cherchant à signer chez des majors comme C.B.S, Sonny- Musique ou Columbia, musées de stars du monde grossissant. Nous tombons en plein « Up Rising » de la percée à l’étranger, « guet-apens » de qui mieux mieux, de metteurs en scène qui veulent régler le compte d’un Grand Méchant Zouk (dont l’inventeur du « juke-box », -Zouk en live- fut Rony Pizio). Inévitablement, les premiers empires industriels de P.D.G et d’O.S zoukiens se sont montés.

Tout le monde attendait de toucher le gros lot : le client du moment, c’était le public français quand bien même ses médias ne retiennent à peine de ces nouvelles têtes d’artistes arrivés des Iles que l’affichage. Sans faire attention à la qualité, producteurs et groupes se sont engouffrés dans l’affaire du zouk système ; voilà qu’il souffre aujourd’hui , le potentiel marché du créole art, miné par l’explosion du trafic : contrefaçon des meilleurs pointures, des grandes griffes de la musique compilées et puis bradées. Comment ne vont-elles pas fléchir dans cet effondrement boursier qui guette le « Zouk » ? Car la guerre des musiques qui fait rage sur toute la planète n’épargne pas non plus les îlots musicaux : accentuant les hauts et les bas des écuries de musiciens. Les leaders semblent être pris au piège de leur propre succès de danse jugé après bataille trop colifichets. C’est que tout simplement la compétition est devenue irréellement « féroce » pour ne pas déboucher sur une question sans équivoque : « Peut-on s’entendre à fabriquer des tubes de Zouk si on possède pas soi-même les usines ? »

A l’ether de… zouk

Que ça ne rime jamais avec plouc. Le Zouk est entré en scène et s’est placé comme un des jalons de l’histoire de la musique antillaise, ce avec des constances : tradition et fusion. Dès les années 80, l’heure du Zouk a sonné sur des rythmes voués à la danse pure ; c’est ainsi qu’il est apparu sous les auspices du Dieu vodou « Ochùnmaré », grand piton, roi carnaval accouru au secours de ce fils qui évolue de rencontres multiformes en sons caribéens, quels que soient les couleurs, les tempos ; c’est l’œil visionnaire de grands répétiteurs musiciens et danseurs que tous sont convaincus de le montrer au grand jour de l’internationalité…Pourquoi le limiter aux cadences locales ? En les modernisant, en v’là du Zouk Chiwé (les plus rapides) ou du Zouk love à charge de tendresse, « Collé –serré » jamais trop collé monté pour réussir son décollage. Il faut se rendre à la racine bien plantée dans la musique Gwo Ka, Bel air des rythmes : la Mazouk et la Biguine vidées, danses d’antan, et surtout – n’oublions pas- qu’avant que les Antilles ne préparent ce cocktail musical, Gilles Sala faisait l’éloge de ses précurseurs dans une émission intitulée « Ces chants et rythmes de l’union française ». Une demi-heure mensuelle de découvertes qu’il animait sur les ondes de Paris Inter…

D’abord et avant tout, la musique antillaise se danse, pas question pour autant de faire l’impasse sur ses paroles en créole même si cette langue imagée à tournures savoureuses reste incomprise. Rika Zaraï en chantant « Sans chemise sans pantalon » n’est-elle pas devenue Créole ? Guy Plonquitte aimait une Rosalie, doudou à lui, elle voyage avec Carlos qui la reprend pour lui. Philippe Lavil pour un flirt créolisé veut bien être la doublure de Philippe Marthély auprès de Jocelyne Béroard, personne n’en fait tout un mystère. Alors, lorsque « Maldon »redistribuée à des zoukettes issues d’une Expérience 7 triomphe en tête des chansons, cette chanson du trio vocal et sexy de Zouk Machine finit d’apporter la preuve par « neuf » de la teneur communicative de cet idiome. Cependant, c’est autour des frères Décimus qu’il faut évoquer le déclic du Zouk à la racine musicale antillaise. Rejoints par un rocker au patronyme de Jacob Desvarieux, surgi des séances de studio parisiennes, tout comme le jazzman Jean-Claude Naimro épris de musique africaine et par d’autres irrésistibles chanteurs sentimentaux, c’est ensemble qu’ils réalisent la potion magique qui donnera forces, épices, courage aux enfants de cette communauté française relevant l’étendard des Antilles. La diaspora noire s’est trouvée emballée par le côté professionnel de cette grande bande qui, dans le sens tricolore, se traduit Zouk en termes se fête, sons et revival. Le défi n’a pas été facile, la notoriété de cette musique construite patiemment ne pointe le nez que lorsque ses leaders persistent et tapent dans la seule porte ouverte : la World Music des bouts de terre, insuline dont la nouvelle planète Zouk possède une formule améliorée pour rentrer dans l’arène des musiques ; « Zouk la sé » a été précipité dans cette époque (en 1984), d’abord parce qu’il fallait faire sortir du chapeau quelques lapins venus du beau soleil d’azur. Maintenant quelle différence ?

Il existe deux sortes de « Zoukers » formés sur le tas : ceux issus de familles musiciennes des Iles, et les autres, autodidactes lancés pour les beaux yeux. Cette démarche parfois maladroite a toujours le mérite de ceux qui ont fait école du Zouk, ce baume au cœur passé sur la réalité moins douce que n’est le beau rêve antillais ; ils assistent quelques fils des Iles que l’on sort en vitrine : la Compagnie Créole, David Martial, Malavoi, Kassav’, ou les Gibson Brother’s. Ces groupes (électrogènes) nous éclairent sur le faible battage réalisé autour de la galaxie ignorée du plus grand nombre francophone. A ce propos, les Dom-Tomiens où passées certaines de ces stars et pourquoi tant de ces vitalités anciennes ne percent que sporadiquement le petit écran, étant donné que le « Zouk-roi » est, soit dit en passant, toujours vivant, comment n’arrive-t-il pas lui non plus à franchir que le murmure des émissions musicales de la boîte black ou des radios communautaires ? C’est en pénétrant cet univers que les points d’interrogations se changent en exclamations et par un prompt retour aux sources, on doit vous faire entrevoir désormais la frontière existant entre musique et politique musicale. Il y a des raisons fondamentales pour que se trouvent maintenues certaines pratiques érigées en piliers culturels du monde noir, en chants, danses et croyances !

JE DANSE DONC, TU SUIS !

Dans les rythmes de l’Ouest terne, l’opium du peuple « religieux » avait trouvé le moyen d’adapter un homme noir aux conditions de vie dans les ateliers de l’esclavage. Aux plantations de canne, de café, de coton, du tabac, il l’éduque dans la danse du travail, la danse du repos, la danse du réveil et celle du coucher à coups de bâton qui se transforment en tambours d’entretien. Ce dispositif dissuasif soulage ses plaies chroniques et accompagne sa révolte en chansons. Quand ce Noir avait saisi ce rythme d’appellation contrôlée le mobilisant continuant, alors toute sa descendance acceptera le signifiant de musique comme une larme libératrice versée dans le creuset culturel de sa nouvelle société. Que la plupart des ethnies d’Afrique noire soient représentées aux Antilles (les Soudanais, les Guinéens, les Bantous, les Fons du Dahomey, les Yorouba du Nigeria, etc.), sont-ce vraiment les plus influentes qui auraient laissé à l’ensemble cette culture du tempo-beat ? Tous les captifs (détenteurs de savoirs et de pouvoirs de l’Afrique) dont ont bénéficié les célèbres Rolling Stones, étaient-ils tous des savants comme ceux qui étaient détournés d’eux, consciencieusement triés sur le volet, persécutés jusqu’à se renier.

Sauf erreur faite d’une « Star dust », traînée de tambours éclatés sur l’écueil de la colonisation, maigres sont les débris rescapés : comme Haïti, Cuba, Jamaïque, Brésil où les vibrations passent basses et déposent un morceau du « Sumbolon/signe, pierre philosophale dans la mémoire que des cousins Black Karibs et voisins sont entrain de reconstituer… » Sans la biguine, aurait-on jamais entendu parler des Antilles françaises perdues dans une nuit éternelle de Bamboulas… ? Il y a cent ans, elle s’élaborait dans les dancings ou casinos de Saint – Pierre, capitale caribéenne, qui l’envoyait déjà à l’Exposition Universelle de Paris. En 1900, une Polka créolisée et jouée sur un rythme Bel Air en ostinato (tournerie), était la Calenda d’un peuple émancipé vers 1848 dans une ville d’histoire détruite par l’éruption du volcan, le Mont Pelé, et la Biguine est contrainte d’abandonner son bassin Pirotin (baie de Saint – Pierre).

Elle descend à Fort-de-France nouvellement chef-lieu où des artisans s’activent sur le canevas de ses chansons. Stellio les veut fleuries et à la clarinette trempée dans du jazz de la Nouvelle Orléans. Avec lui, suivent Ernest Léardée, Duverger, Archange, De Saint Hilaire, profitant des années 30 parisiennes pour graver les plus célèbres standards de cette musique. Plus tard, Al Lirval , tromboniste, Robert Mawounzi, saxophoniste, et un pianiste du nom d’Alain Jean-Marie l’harmonisent encore. Sans coup férir, le swing pénètre dans la Beguine qui « wabap » sur quelques applaudissements, alors qu’en Amérique la résonance du Be-Bop est élevée dans les conservatoires en musique nationale. La Biguine, elle, vit tout juste sous le ciel des Antilles aimées pour ce tempo rapide de mélodies chatoyantes agrémentées de breaks ; le temps que les danseurs ne prennent élan pour une volte face, ses chanteurs mal vus reviennent d’une courte conquête à Paris, étrangers de l’en dehors qui n’a pas encore besoin de ce beau brin de musique pour conquérir le monde. Dans les dancings du Pît’ et de la Foyalaise les musiciens travaillent encore. C’est dans l’orchestration qu’ils se découvriront,ne sachant à quel « siwa » (saint) se vouer. Ils choisissent parmi les rythmes qui flottent à l’horizon, lesquels ont l’air plus flamboyants. Les années 50 à 60 où l’Amérique est « soul », les variétés de rock ‘n roll et rythm and blues qui nourrissent les postes à galènes. Il gonfle le monde des exodes, aux alentours et proches les Iles guettent les sirènes…Une Contra – Danza, voire l’Habanéra qui fit connaître l’Ile de Cuba : une cousine ibérique qui désire des rythmes plus loquaces, plus populaires comme El Son qui apparaît pour se jeter sur une vieille rumba et lui dispute ses troubadours. Provocation et duel, cette musique s’en prend au « corason » des rythmes. Il s’en suit une véritable « révolution » à la cubaine. Elle éclate à New York où tous ses premiers orchestres de La Havane roulent dans le tabac les autres rythmes insulaires participants. Cuba remporte la victoire de la musique, en tête avec des voix grandioses comme le duo réputé Celina et Reutillo, et ses musiciens caressent de vue la Salsa superbe latine extraterrestre.

Comme les battements du cœur, départ perçu des corps inertes, ils redescendaient des collines les tambours jamaïcains envahissant Kingston pour chanter le rasta Niyabinghi. Lui aussi écoute l’Amérique influente. Sa première mutation fait Ska cuivré et bondissant. Après il passe au rock steady studieux. Avant 1968, son premier lauréat s’appelle Reggae. Il a réussi sans aucune forme promotion que le sound du système D. J, mais les radios le trouvent encore trop vulgaire avec ses longs cheveux hirsutes. En tout cas, pas pour Jimmy Cliff, The Gladiators ou Bob Marley découverts à l’arrière-cour de Trenchtown où ce maître enseigne toujours à ses élèves la défense et l’illustration de la race opprimée… Le reggae ouvre son chapitre « Zion trade » dans le monde, 6è continent d’un chanteur nommé Kali.

Haïti écoute aussi « Radio Cacique » ; les diffusions « d’ Haïti Inter » sont nationales. Haïti chante et allonge les oreilles pour la liberté. Top pauvre pour accéder à l’info d’ici-bas, cette île reçoit de l’au-delà pour s’instruire : des bandes de « Ra- Ra » qui déambulent les jours de carnaval pour retrouver la vacsine (gros tube de bambou) soufflant les bougies de ses anniversaires passés sur les bords de la mer au bord des routes en compagnie des « Tap -Tap », taxis des courses dans le trafic d’influences : africaine, la substance, française et polonaise des danses, ainsi que celles venues également des îles voisines comme St Domingue, Cuba et Haïti. Il n’y a pas plus travailleurs acharnés que ces musiciens dont l’instrumental compas relie sans cesse les cartes de l’histoire. « Map di boujou Tout Monde » comme ces grands artistes du compakolor que vous a fait découvrir Ronald Rubinel, le plus moderne des musiciens Ethnicolors de l’Outre-mer ; des groupes tels que les frères Déjean, Skah-Sha n°1, Tabou Combo, Volo-Volo ou System Band, le grand Coupé-Cloué proclamant « Haïti Chéri » sur des rythmes qu’ils mijotaient depuis des studios de « New York City », leur deuxième capitale.

Dans les années 60 à la Martinique, Fernand Donatien s’inspire de l’instrumentation cubaine et donne un genre nouveau au style de la Biguine. Il procède par additions et fusions sonores, fait entrer dans cette musique des cuivres en section mélodique : les chants et le piano deviennent des éléments dominants dans l’orchestre qui alterne jeux et puissances. A l’époque, les grandes formations se produisaient à 14 artistes maximum lorsqu’en 1965 Haïti ramène sa cadence sur la Guadeloupe et la Martinique afin qu’elles dansent en rythme une Rampa. En formation réduite à 4 ou 5 musiciens, les Haïtiens séduisent : les boîtes de nuit, par leur tarif le plus bas de la Caraïbe, et le public qui s’amourache de leur musique, ovationne cette haïtienne qui répond à l’attente de ses sœurs en recherche d’exotisme. Un quelque chose les dépayse, juste ce qu’il faut de voluptueux et de sensuels balancements. Dès lors tout le monde penche sur cette pente 100 % sensible et les corps n’en deviennent que plus rêveurs à s’évader sur les pistes, les disques qui circulent en déplacements inter- caraïbéens. A la Biguine aussi d’adapter ses mœurs sur le Meringué haïtien, le Tango -Congo Cubain, chacun de ces orchestres mettant un point d’honneur à faire entendre sa sonorité originale sur de nobles tempos. Les Dominicains du coin ne font pas non plus du sur- place lorsqu’ils dansent avec elle comme « Exile One ». Ce groupe a fait partie des mentors des Antilles des années 70 ; il se trouvait plus proche de la technique que d’émissions possibles -5/5 sur le Canal International. Avec « Twenty – Twenty » le leader Gordon Henderson a refait surface il y a quelque temps.

A L’HEURE DU BILAN, OUI A LA MODERNITÉ QUI TIENT COMPTE DU TERROIR. KASSAV’ A VISÉ LE TOP POUR QU’AUCUN N’OUBLIE

Astar Annie (Afiavimag)

 

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