« L’Elysée et Matignon  entretiennent un climat xénophobe »

 

 

Naja12Najat Vallaud Belkacem, une des portes paroles de Ségolène Royale, adjointe de Gérard Collomb, maire de Lyon, revient sur la politique sécuritaire du gouvernement et le traitement infligé aux Roms. Pour elle, l’Etat français, sur ce dossier, verse dans le racisme et fait du zèle.  

 

 

– Arnaud Montebourg, Eva Joly et beaucoup d’autres dénoncent « l’institutionnalisation »  en France « d’un racisme d’Etat » envers les Roms. N’est-ce pas de l’antisarkozysme primaire ?

« Toute critique du gouvernement devient de l’antisarkozysme primaire ! On a bien compris que c’était les éléments de langage de l’UMP. Sur le fond, si l’on met bout à bout la création d’un ministère de l’Immigration, le débat sur l’identité nationale, une politique migratoire « racialiste » selon les termes de Patrick Weil, les dérapages verbaux qui ont valu au ministre de l’Intérieur une condamnation en première instance, les amalgames entre immigration et délinquance, le traitement de la situation des Roms et une lecture ethniciste des rapports sociaux, il faut bien reconnaître la responsabilité éminente du gouvernement lui même dans ce climat de xénophobie ambiant que les Français  réprouvent.

Ce n’est pas le seul point de vue de la gauche française. C’est celui de la presse internationale, du comité des droits de l’homme de l’ONU, de la Commission européenne, de l’Eglise catholique et d’une grande partie de la droite en France. »

– Certains disent, notamment à l’UMP, que rien n’étaye cette thèse. Que l’opposition mélange tout et que le parti socialiste, une fois de plus, politise la question des Roms  pour se refaire une santé, à deux ans des élections présidentielles !

« Vous avez raison de dire « certains à l’UMP ». Ce n’est le point de vue ni d’Alain Juppé, ni de Jean-Pierre Raffarin, ni encore de Dominique de Villepin… Trois anciens Premiers ministres UMP… Ce qui est en jeu, c’est la défense de principes et de valeurs qui sont communs à tous les Républicains. »

– Admettez, quand même, que c’est pour vous une opportunité de fustiger le gouvernement, vous en avez l’habitude !

« A dire vrai, son bilan est si mauvais que les occasions ne manquent pas : déficits publics, chômage, perte du pouvoir d’achat, reforme injuste des retraites, étrange financement des collectivités locales, échecs scolaires, fermetures de services publics, délinquance… Il n’y a pas grand chose à sauver. »

Quelle alternative proposez-vous ? L’ouverture des frontières pour lutter contre le racisme ?

« Ce n’est pas ce que préconise le PS. Il est contre l’immigration clandestine. Mais il est pour un examen des situations individuelles et en particulier, familiales. Il n’est pas pour une politique du chiffre. Faire traîner les procédures de regroupement familial, comme on le fait actuellement, n’est pas dans sa culture, non plus. De même qu’il refuse de bloquer toutes les demandes d’asile ou presque. Où est la coopération avec les pays à l’origine de ces flux migratoires ?

A vrai dire, il n’y a pas de politique de co-développement. L’aide publique au développement s’est, au contraire, effondrée à la faveur de la crise. J’ajoute que le racisme se développe entre Français. »

– Que voulez-vous dire ?

« Le racisme gagne du terrain. Le gouvernement divise les gens, les oppose les uns aux autres. Il promeut dans son discours, comme dans ses actes, une société de l’entre soi qui sape le multiculturalisme et fait le lit des communautarismes.

Il faut restaurer la mobilité sociale, la mixité dans les quartiers et les écoles. Mettre en place une véritable politique qui garantisse l’égalité des opportunités. »

– Même Michel Rocard dans les années 1990 avait déclaré que « la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde ». Par conséquent sur ce chapitre, on ne peut pas taxer le gouvernement Fillon de « réactionnaire », de « xénophobe » ! Or, c’est ce que vous faites.

« Oui, il est de coutume de ne citer Michel Rocard (dont je rappelle qu’il a très vivement réagi cet été contre la politique sécuritaire du gouvernement) que partiellement. Et il ajoutait : « Mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». Je suis de cet avis. Par ailleurs, je crois que nos efforts doivent aussi se porter sur le développement des pays qui ne parviennent pas à contenir les vagues migratoires. La fracture Nord-Sud est de plus en plus insupportable et les motifs d’émigrer dés lors, d’autant plus pressants. »

Comment expliquez-vous que les Roms aient toujours posé un problème aux Français, toute classe sociale confondue ? Que depuis Tintin, on les perçoit comme « des voleurs de poules », « des délinquants », des fauteurs de trouble permanents. Une image véhiculée aussi par des médias, y compris par le service public.
« Ils ne sont pas les seuls malheureusement à supporter les caricatures, les préjugés pluriséculaires ! Ceux-ci ont la vie dure… La délinquance, quoi qu’en dise le ministre de l’Intérieur, n’a pas de nationalité, elle s’exerce parfois aussi en col blanc. La rigueur de la loi doit être la même pour tous. »
– Bernard Kouchner devait-il quitter le gouvernement au nom des valeurs républicaines et universelles. Sur RTL, il disait avoir eu « le cœur serré » mais préfère rester au gouvernement et déclare, je cite : « C’est l’efficacité. Il faut absolument s’en occuper beaucoup plus (…) C’est important de continuer. S’en aller, c’est déserter, c’est accepter ». Accordez-vous de la crédibilité et de la sincérité à ses propos ?

« Dommage ! Sa sortie du gouvernement sera aussi triste que son entrée. S’il avait claqué la porte, on aurait retrouvé le Kouchner qu’on a aimé, jadis. Pour tout vous dire, je ne vois pas quel poids supplémentaire pourrait avoir son action sur les Roms quand on voit son impuissance sur tous les dossiers importants pilotés directement de l’Elysée. »


– Reprenez-vous les analyses de Jean-Christophe Rufin ? Ce dernier avait accusé le ministre des Affaires étrangères de s’accrocher à son poste, d’accepter ainsi que le Quai d’Orsay devienne « sinistré » et « complètement marginalisé » par l’Elysée ?

« Je crains qu’il ait vu juste. »

– A vous entendre, il n’y a que la France qui viole les droits fondamentaux des Roms.
Pourquoi ne parlez-vous jamais des autres pays de l’Union européenne qui ne sont pas tendres non plus en matière de politique d’accueil envers eux. Et ce, depuis la nuit des temps ?

« Vous avez raison, d’autres pays d’Europe ont des responsabilités. La façon dont les Roms sont traités en Roumanie, par exemple, n’est pas satisfaisante, mais nous sommes élus en France.

Concernant l’Union européenne, je pense qu’il est important que la Commission assume l’entièreté de ses responsabilités, c’est sans aucun doute un échelon pertinent pour traiter la situation de ces citoyens de l’Union qui traversent l’Europe depuis toujours.

1% de 20 milliards » d’euros de budget prévu pour l’intégration des Roms ont été dépensés selon le chef de la diplomatie française. D’après vous, c’est trop ou pas assez ?

« C’est en effet insignifiant. Cela veut dire que les politiques publiques qui leur sont destinées ne sont pas mises en oeuvre. L’Europe, les Etats comme les collectivités locales doivent respecter leurs obligations, notamment en offrant des possibilités d’accueil dignes »

Propos recueillis par Paul Moffen (Afiavimag)

 

Leave a Comment