Angélique Kidjo…

Après vos débuts en Afrique puis en Europe, vous vous êtes finalement installée aux Etats-Unis. Pourquoi les USA ?

  •      Comment est perçue votre musique auprès du public américain ?
  •       Vos albums sont en grande partie traversés par les rythmes vodou ou des rythmes inspirés des musiques traditionnelles africaines,  est-ce un besoin d’enracinement ? Pourquoi ?

J’ai entamé une trilogie en 1997 qui consistait à aller à la rencontre de la musique de la Diaspora noire partie d’Afrique lors de l’esclavage. L’histoire de l’esclavage, c’est par la musique que je l’ai connue. J’ai commencé la 1e partie de cette trilogie aux USA et c’est pourquoi je m’y suis installée. Depuis que je fais des concerts aux USA, j’ai vu petit à petit mon public grandir et avoir un visage multiculturel, ce qui est rare aux USA. Mon public est très mélangé et je suis contente d’avoir réussi à ce que ma musique réunisse ceux qui, sans cela, ne se rencontreraient jamais. Pourquoi les USA ? j’aime l’énergie que dégage ce pays qui est dur, difficile mais en même temps qui vous pousse à vous dépasser, à rêver, bien que je sois en désaccord avec la politique étrangère actuelle.

Mon public s’élargit de plus en plus. J’en suis contente mais aussi consciente de ma responsabilité

Mon besoin d’enracinement dans la culture africaine ? Il est chevillé à mon corps et mon âme !

  •     Vous considérez-vous comme une ambassadrice des cultures africaines ?

Je suis très fière d’être africaine. Lorsqu’on me demande si ce n’est pas trop dur de porter ce continent sur mes épaules, ma réponse est non : j’aime mon continent même si il est loin d’être parfait. Les Africains ont un sens de survie et de joie que je n’ai jamais retrouvé nulle part ailleurs.

  • A travers votre répertoire très varié on peut voir que vous cultivez le nomadisme culturel et musical : qu’est-ce que cela vous apporte sur le plan personnel ?

Cela me permet de me remettre en question tout le temps et cela me rend plus forte et fière de ma culture africaine qui peut se frotter à tous les genres de musiques ! Nous, les Africains, n’en sommes pas assez fiers.

  • Diriez-vous que vous êtes Béninoise ou citoyenne du monde ?

Les deux.

  •   Quel(le)s sont les artistes africain(e)s qui vous ont le plus marquée ?

Sans la rencontre musicale avec la discographie de Myriam Makeba, je ne pense pas que je serai chanteuse aujourd’hui. Au Bénin, les musiciens traditionnels m’ont appris énormément sur l’essence d’une chanson, sur son message et son impact auprès du public. Bella Bellow, El Rego, Yonnas Pedro, Tabu Ley, Francis Bebey, Eboa Lotin, Trio Madjessi, Andre Marie Talla, Ipi Tombi, Ekambi Brillant, Fela Kuti , ing Sunny Ade, Ebenezer Obey Manu Di Bango et aussi tous les griots d’Afrique que j’ai pu écouter étant enfant, mais aussi Orchestre Baobab, le Bembeya Jazz.

  •        « Djin Djin » est votre dernier album, dont la sortie est prévue pour le mois de mai, pouvez-vous nous dire la teneur et la signification du titre ?

Pour la première fois ; j’ai décidé de ne plus essayer d’expliquer les rythmes de chez moi aux musiciens d’autres cultures, mais de les amener en studio avec des musiciens béninois. Après ma trilogie, j’ai ressenti le besoin de ramener tous les rythmes partis de chez nous vers leur source en Afrique. Djin Djin est le son phonétique d’une cloche par laquelle j’annonce le réveil d’une Afrique dynamique et positive. Je suis fatiguée du fait qu’on parle de mon continent que d’un point de vue négatif.

Sur ce disque donc j’ai fait venir du Bénin 2 percussionnistes du Gangbe Brass Band et autour d’eux, j’ai créé un casting de musiciens du Sénégal, de la Guinée-bissau, du Brésil, des USA le tout supervisé par le producteur de David Bowie, Tony Visconti qui avait produit dans les années 70 2 albums du groupe Ossibissa.

  •        Vous avez été élue ambassadrice itinérante de l’Unicef depuis 2002, qu’est-ce que cela représente concrètement  pour vous ?

La raison pour laquelle j’ai accepté de travailler avec l’Unicef est la suivante: Unicef a toujours fait partie de ma vie : étant enfant, toutes mes vaccinations ont été faites par eux. Si je peux soutenir mon pays et mon continent en aidant ses enfants à avoir une meilleure éducation, un meilleur système de santé et surtout si je peux aider à améliorer le sort des jeunes filles qui vont devenir les mères des générations à venir, alors je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, sans compter mon énergie et mon temps Sans cela, ma vie n’aurait pas de sens.

  •        Y a-t-il d’autres combats qui vous tiennent à cœur ? Lesquels et pourquoi?

Oh oui, je travaille avec Oxfam, Amnesty International, Keep a Child Alive. Pourquoi ? Tout simplement parce que je suis une citoyenne de cette planète et que celle-ci est en danger. Il faut absolument un meilleur partage des ressources de cette planète. On nous dit que les droits de l’homme sont écrits pour tous les hommes. Si c’est le cas, pourquoi existe-t-il deux poids, deux mesures?

  •      Vous qui êtes une femme accomplie, que pouvez-vous dire sur la condition de la femme en Afrique ?

Les femmes africaines sont la colonne vertébrale de notre continent. Pourquoi donc les hommes africains les traitent-elles parfois mal? Un homme qui ne respecte pas une femme, peut-il se respecter lui-même? Il faut que la condition de la femme africaine change. Quand une petite fille naît en Afrique, il faut qu’on lui reconnaisse toujours le droit d’être humain à part entière et non pas seulement celui d’être la fille de quelqu’un qui pourra la marchander comme c’est parfois le cas. Un enfant n’est pas une possession!

  •   Vous êtes une artiste de renommée internationale et vous avez été consacrée à plusieurs reprises dans le domaine musical. Peut-on espérer que vous  utilisiez un jour cette notoriété pour aider à faire bouger les choses en Afrique ?

C’est ce que j’essaye tous les jours! Pour qu’il y ait des changements durables, il faut que l’on commence par être honnête avec nous-mêmes: certaines traditions qui affligent nos populations doivent disparaître. Il nous faut évoluer avec notre temps. Nos dirigeants doivent être proactifs. La corruption existe dans tous les pays, mais en Afrique elle tue chaque jour des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes. Il faut que nos dirigeants se rendent compte qu’une population éduquée et en bonne santé leur donne plus de pouvoir et de prestige à l’étranger. Nous ne devons plus être perçus comme des mendiants. C’est à nous d’arriver à prendre les bonnes décisions et les bonnes législations, même si beaucoup de forces extérieures essayent parfois de contrecarrer ces efforts.

Marlene Gervais (Afiavimag)

 

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