Le Maroc contemporain : repenser l’équilibre des pouvoirs ?

 

 

Intronisé le 30 juillet 1999 après le décès de son père Feu Sa Majesté le Roi Hassan II (1929-1999), le souverain actuel est Sa Majesté le Roi Mohamed VI. Il hérite d’un pays stable politiquement, structuré et uni, mais aussi où les dysfonctionnements structurels et les disparités sociales sont criants. Le Maroc est marqué par l’immobilisme de l’administration, la corruption, la pauvreté, le chômage des jeunes et l’analphabétisme. Des mesures urgentes dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la justice sont plus que jamais nécessaires. L’engagement du Maroc dans une solution politique définitive du statut du Sahara marocain[1] est également un défi majeur pour le nouveau règne.

L’alternance consensuelle[2] lancée par Feu SM le Roi Hassan II en 1998 marque le début d’une ouverture politique sans précédent. Cette ouverture a un impact positif sur le processus de démocratisation dans les domaines politique, économique et social entamé par le jeune monarque dès son arrivée sur le trône. Ce processus marque t-il une rupture effective avec l’ancien système politique marocain ? A l’aube du nouveau millénaire, la transition démocratique a-t-elle réellement eu lieu ? Faut-il redéfinir les pouvoirs exécutif et législatif pour une construction progressive d’un équilibre institutionnel ? Ou la question réside-t-elle plutôt et surtout dans la viabilité des forces sociopolitiques (partis, syndicats, presse, intellectuels, mouvements de défense de droits de l’homme, etc.) y compris certaines forces conservatrices de l’ancien régime, à interagir avec ce processus ? La redéfinition des rôles de ces acteurs est essentielle pour garantir l’institutionnalisation du dialogue social et pour faire de la transition politique, considérée comme référentiel théorique, intermédiaire et inachevée, une consolidation de la démocratie de manière pragmatique. Les organes législatif et exécutif sont appelés à adopter des réformes politiques capables de renforcer l’édifice institutionnel au profit d’une gestion économique et sociale encore plus dynamique.

La démocratisation des institutions nationales, lancée par le roi Mohamed VI, a besoin d’être accompagnée d’une réflexion globale sur le devenir de la société marocaine qui, au vu des mutations internationales sur les plans économique, social et politique, est inévitablement amenée à ces transformations et y apporter des réponses solides en matière de gouvernance publique, de démocratie et d’ouverture économique. Les constellations géopolitiques qui touchent de près ou de loin le Maroc (Union européenne, Conseil de l’Europe, Organisation de Coopération et de Développement Economiques, Organisation Mondiale du Commerce, etc.) rendent crucial son engagement dans une reconfiguration davantage ambitieuse au niveau des secteurs vitaux tels la presse et le champ religieux pour ne citer que ces deux exemples. La fenêtre de la démocratie au Maroc est ouverte et elle est plus que jamais au rendez-vous. Cependant et en raison de cette volonté sincère de changement de la part du souverain, le pays peut être exposé à certains dangers : rappelons le terrorisme aveugle qui a frappé violemment Casablanca[3] en 2003, les actions séparatistes, rares mais non négligeables, au sud du royaume soutenues sur le plan matériel et organisationnel par certains dirigeants algériens. L’affaire Aminatou Haidar[4] en est l’exemple. Sur le plan interne, l’analphabétisme et l’ignorance créent l’exclusion d’une bonne partie de la population marocaine. Dans un pays où les réformes se heurtent aux périls islamistes, la prudence est de rigueur. Les nouvelles forces politiques d’obédience islamiste constituent aujourd’hui l’une des grandes forces politiques du pays tel que le Parti Justice et Développement (PJD). En face, la gauche progressiste a vu son image ternie depuis ses récentes défaites aux élections législatives de 2007 et aux élections communales de 2009. De plus, celle-ci doit faire face à un phénomène de déconsidération lié à une difficile conciliation entre les valeurs qu’elle prône et les intérêts de certains de ses dirigeants de graviter autour de l’administration. Dans ce sens, l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) reproche au Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) de faire cavalier seul afin de se rapprocher des vues du Palais. Le PPS de son côté accuse l’USFP de considérer les autres partis de la gauche comme de simple faire-valoir.

Le Maroc progresse nettement en matière des droits de l’Homme et de liberté d’expression. Un Conseil consultatif en matière de droits de l’Homme (CCDH), indépendant des organes exécutif, législatif et judiciaire, est créé en 1990. En janvier 2004, le roi institue une commission nationale appelée Instance Equité et Réconciliation (IER). Cette commission, une première dans le monde arabe, a rendu public les témoignages des victimes de l’ancien régime en établissant des faits relatifs aux cas de disparitions forcées, de détention, de torture et de tous ceux portant atteinte au droit à la vie. Des réformes sociales sont également menées, parmi lesquelles la plus importante, celle du code de la famille. Son adoption et son entrée en vigueur en 2004 constituent une avancée significative qui garantit le principe d’égalité entre la femme et l’homme. Depuis 2004, un nouveau code de travail a été également adopté pour garantir les droits syndicaux. La question de la lutte contre la pauvreté est devenue une priorité du nouveau règne. Des campagnes de solidarité ont été lancées, signe d’engagement social. Par ailleurs, dans un élan de solidarité nationale et pour mener à bien ces actions humanitaires, de multiples fondations sont créées parmi lesquelles la Fondation Mohamed VI en 2001, dont l’objectif principal consiste en la promotion des œuvres sociales, de l’éducation et de la formation professionnelle. Quant à l’enseignement national, la situation est préoccupante. Selon le Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Formation des cadres et de la Recherche Scientifique, Ahmed Akhchichine, plus de 380.000 enfants ont quitté l’école avant l’âge de 15 ans en 2006. D’après la même source, 40% des élèves ne terminent pas leurs études primaires. Cet abandon scolaire coûte à l’Etat une perte de 2,2 milliards de Dirhams[5]. En milieu rural, 60% des écoles ne sont pas raccordées au réseau électrique et 80% de ces écoles ne disposent pas de sanitaire. Un programme prioritaire 2009-2010 intitulé « réussir une école pour tous » nécessitant un investissement de 5 milliards de Dirhams par an, soit 15% de plus par rapport à l’enveloppe budgétaire dédiée à ce secteur, est mis en place pour palier à ces dysfonctionnements structurels et par conséquent améliorer l’offre scolaire. Consolider l’égalité des chances et permettre la construction d’une société de l’économie et du savoir, sont parmi les objectifs du secteur de l’enseignement qui demeure incontestablement le baromètre de toute réforme profonde.

Dans le cadre de l’Initiative Nationale du Développement Humain (INDH) lancée en mai 2005, le roi multiplie l’inauguration de grands chantiers d’infrastructures visant l’amélioration de la situation des catégories sociales de différentes régions du Royaume. Le Maroc s’est inscrit dans une nouvelle dynamique valorisant la rénovation et la modernisation des structures de l’Etat. A cet effet, le Roi Mohamed VI crée le 3 janvier 2010 la Commission Consultative de la Régionalisation (CCR) qui constitue un tournant majeur dans les modes de gouvernance territoriale.

Malgré les mutations économiques et sociales que le pays connaît ces dernières années, 38,5% de la population adulte est analphabète contre prés de 43% enregistré lors du recensement de la population et l’habitat en septembre 2004[6]. Ce taux a donc baissé de 4 points. Le développement des libertés publiques, la dynamique de la vie politique et associative militent en faveur d’une administration marocaine capable de répondre aux nouvelles exigences économiques, politiques et sociales du pays contre l’immobilisme et l’archaïsme de l’administration marocaine. 22,7% des fonctionnaires de l’administration publique et des collectivités territoriales sont analphabètes, soit 130.000 personnes sur un total de fonctionnaires de près de 610.000[7]. Pour un vrai décollage de l’économie du pays, une réforme de l’administration devient une priorité majeure. Il est à noter que le Maroc a  adopté un cadre juridique et fiscal plus incitatif de promotion des investissements étrangers. Dans ce cadre le pays a créé, en 2002, les centres régionaux d’investissements qui ont pour but d’alléger les procédures administratives.

Sur le plan politique, une nouvelle réforme constitutionnelle visant simultanément  à renforcer le pouvoir du parlement et l’action gouvernementale ainsi qu’à élargir les prérogatives du Premier ministre, est sans doute indispensable afin de déboucher sur des choix véritablement démocratiques. Cependant, toute réforme doit être entérinée en parfait accord avec le Roi afin d’inscrire le changement dans la continuité. La monarchie marocaine, une des plus anciennes du monde, demeure culturellement la symbiose, le ciment de toutes les composantes du peuple marocain. Il est évident que les réformes sont nécessaires pour tout changement, mais elles ne sont pas suffisantes. En effet, en l’absence d’une société civile et politique suffisamment mature pour intérioriser un profond désir de changement, c’est-à-dire sensibilisée à ses droits et ses devoirs, ayant conscience des enjeux politiques renforcée par le sentiment d’appartenance à un ordre social, les réformes ne peuvent constituer que des schémas préétablis vides de tout sens. De ce fait, la viabilité des réformes constitutionnelles est conditionnée par l’urgence à réformer les mentalités. On ne saurait établir un développement de l’espace institutionnel sans pouvoir l’accompagner d’une réflexion sur les conditions dans lesquelles il est produit.

La constitution marocaine dote le Roi des pouvoirs temporel et spirituel (article 19 de la constitution du Royaume), elle garantit de ce fait à l’Etat l’accès direct au mode d’expression religieuse sans qu’il soit relayé exclusivement par des partis islamistes. En effet, ces derniers risquent de monopoliser l’interprétation religieuse et par conséquent entraîner le pays dans des dérives extrémistes.

Enfin la question de la légitimité de la royauté ne se pose, au Maroc, ni dans l’opinion publique marocaine, ni auprès de la classe politique. Au contraire, le Roi est considéré surtout comme un garant de stabilité politique et économique du pays. La continuité de la monarchie n’est pas incompatible avec la démocratie ; elle en est même la condition.

 

Abdellah Ouzitane

 

[1] Territoire marocain situé au sud ouest du Royaume.  Le Maroc propose une autonomie du Sahara dans le cadre de sa souveraineté et de son unité nationale. Le Front Polisario, avec le soutien de l’Algérie, revendique l’indépendance de ce territoire.

[2] Gouvernement dirigé par un ancien opposant au régime Abderrahmane El Youssoufi, qui symbolisait l’arrivée de la gauche au pouvoir.

[3] Capitale économique du Maroc.

[4] Manœuvre politique séparatiste visant à freiner le processus de négociation sur le Sahara marocain.

[5] 1 euro est l’équivalent de 10 DHs

[6] Enquête nationale sur l’analphabétisme présentée devant le conseil de gouvernement avril 2007 par le secrétaire d’état à l’alphabétisation Anis Birrou.

[7] Enquête nationale sur l’analphabétisme présentée devant le conseil de gouvernement avril 2007 par le secrétaire d’état à l’alphabétisation Anis Birrou.

 

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