Bénin: une gourou nommée Parfaite, égérie spirituelle ou esprit saint incarné

 

 

Le Bénin, terre sacrée du Vaudou, deuxième pays catholique de l’Afrique après le Cameroun, connaît depuis quelques années un phénomène religieux bouleversant. L’église catholique romaine y est menacée du fait d’une secte dirigée par une femme du nom de Vicentia Tadagbé Tchranvoun-Kinni dite Parfaite, adulée, controversée et même contestée.

 Parcours d’une jeune béninoise aujourd’hui déifiée.

 

Depuis des décennies,  plusieurs religions et églises évangéliques  cohabitent au Bénin  dans une parfaite harmonie. Il est courant de voir dans une fratrie,  une pluralité de l’expression de la foi. Ces dernières années, une secte a vu le jour et crée la psychose dans toutes les villes et contrées  où elle s’est implantée. Il s’agit de l’église catholique privée de Banamè , avec à sa tête la jeune Vicentia connue aujourd’hui sous la désignation  de « Parfaite, Daagbo, Dieu Esprit Saint de Banamè. » Elle est née le 18 avril 1990 à Sakété, d’un père instituteur, Raymond Tchranvoun-Kinni et d’une mère revendeuse, feue Victorine Hounhouédo. Elle a passé son enfance à Tori-Gare, une localité située à une trentaine de kilomètres de Cotonou, la métropole du Bénin. Avec ses parents, elle a vécu dans la maison de feu Vincent Quenum, un fervent chrétien catholique. Une des parents de l’ancien locataire de Tori-Gare, Albertine Agonsè qui la connaissait bien témoigne : « A l’époque, elle était une petite fille. On ne la remarquait même pas. Elle avait deux autres sœurs ». Inscrite à l’école primaire publique centre de Tori-Gare vers les années 1994, VicentiaTadagbéTchranvoun-Kinni obtient en 2000, son Certificat d’Etude Primaire (CEP). Roland Houessouvo, un de ses anciens camarades de classe avec qui elle avait passé le CEP, se souvient encore du genre d’élève qu’elle était. « J’avoue qu’elle était une travailleuse. Si elle n’était pas première de notre classe quand on était au CM2, c’est qu’elle était deuxième », a-t-il indiqué. Des talents qu’elle n’a d’ailleurs pas perdus lorsqu’elle s’est inscrite au Collège d’Enseignement Général (CEG) de Tori-Agouako, sous le numéro 1759. Sa classe était la 6ème E, une classe dans laquelle sont inscrits, selon les précisions d’un de ses anciens professeurs, des élèves qui ont  un niveau appréciable.  Le rapport de fin d’année scolaire 2000-2001 du Collège que nous avons consulté ne dément pas cette affirmation.  Après deux ans passés au CEG Tori-Agouako, VicentiaTadagbéTchranvoun-Kinni va quitter le village où elle a passé sa tendre enfance. Destination, le CEG Davié à Porto-Novo,  en 4ème MC5 destinée aux séries scientifiques. Un de ses anciens camarades de classe rencontré au quartier Kandévié raconte : « Elle était une fille vraiment timide. Elle parlait très peu, et tombait souvent malade.» Elle vivait à Porto-Novo chez son oncle maternel, Algnan Dossou qui, rencontré chez lui, s’est présenté comme le père adoptif de VicentiaTadagbéTchranvoun-Kinni. De façon péremptoire, il lui faut une autorisation expresse de Parfaite avant de parler d’elle.  Et pour cause : « Ce n’est plus la fille que j’avais éduquée. Elle s’est transformée. Elle est maintenant mon Dieu. Je ne peux rien dire sur elle si elle ne m’autorise à le faire. J’ai parlé à des journalistes comme vous qui ont transformé tous mes propos. Si elle ne m’autorise pas, je ne dirai plus rien sur elle », s’est-il justifié. Il faut dire que la maison dans laquelle Parfaite a vécu est actuellement en pleine reconstruction et fait la fierté de son ancien tuteur, Algnan Dossou. Une maison à étages qui en impose.

Une élève pieuse et intolérante…

Selon les témoignages faits par l’un des responsables du CEG Le Faucon, VicentiaTadagbéTchranvoun-Kinni était une élève exemplaire. « J’ai vu en elle, une demoiselle très calme. Elle n’avait pas une santé solide et donnait des signes de fébrilité. Elle allait régulièrement voir les responsables que nous sommes pour se plaindre de ses camarades dont les comportements lui paraissaient déviants », a témoigné le directeur des études de ce collège. « Elle objectait souvent sur les comportements de ses camarades et faisait souvent observer qu’elle ferait une bonne responsable de classe », a-t-il précisé.

« Ce qu’elle est devenue par la suite ne m’a pas surpris parce qu’elle se montrait trop pieuse et avait un comportement évasif »,  témoigne la Direction des études.

Banamè, la métamorphose !

Au bord d’une voie de terre rouge située à une quinzaine de kilomètres du Centre-ville de la commune de Covè dans le département du Zou, se dresse une église modeste, encore en chantier. C’est l’église catholique Sainte Odile de Banamè. Nous y avons rencontré monsieur Gabriel Tobossou. Enseignant de formation, il est le secrétaire du Conseil pastoral paroissial, catéchiste dans ladite église. Il se souvient encore de l’état dans lequel VicentiaTadagbéTchranvoun-Kinni est arrivée à Banamè. « Elle avait été conduite à l’église Sainte Odile de Banamè par ses parents, le 20 janvier 2009. Elle était très malade. Elle bavait. Elle était sous une emprise démoniaque », rappelle Gabriel Tobossou, qui révèle l’avoir tenue dans ses bras pour qu’elle puisse recevoir les prières d’exorcisme et de délivrance qui lui ont été faites. Des prières à l’issue desquelles elle a pu recouvrer un tant soit peu sa santé après deux semaines d’inertie. Et c’est dans cet état de convalescence que la métamorphose de Tchranvoun-Kinni Vicentia en ‘’ Parfaite, Daagbo, puis Dieu esprit saint de Banamè » a débuté. Selon les explications données par le secrétaire paroissial de l’église Sainte Odile de Banamè, « c’est au bout de ces deux semaines qu’elle a commencé à faire croire aux fidèles et à toute l’église qu’elle avait des révélations ». «Lorsque l’assemblée se réunit, par exemple, elle raconte qu’elle est une grande personnalité, qu’elle n’a jamais péché, qu’elle est aussi parfaite que Dieu ou qu’elle est plus âgée que tous », mentionne Gabriel Tobossou. D’où les surnoms  « Parfaite » (qui n’a jamais péché, sans tâche), « Daagbo » (plus âgée que tous) puis « Dieu » qui lui sont attribués aujourd’hui. « Au début, on pensait qu’elle délirait.  Mais,  la chose a pris de plus en plus de l’ampleur », explique le secrétaire de l’église catholique Sainte Odile de Banamè. Au point où, l’exorciste, père Mathias Vigan qui dirigeait les prières,  finit  par être convaincu par tout ce que Parfaite disait. « Chose curieuse, alors que nous autres, nous n’y croyions pas, le premier d’entre nous, je veux parler du père exorciste Mathias Vigan, se disait convaincu de la véracité des révélations qu’elle faisait », fait observer Gabriel Tobossou avant de préciser : « Lorsque Parfaite a réussi à convaincre le père Vigan, elle commença à faire plusieurs autres révélations.  Ainsi, elle disait, par exemple, que telle ou telle autre personne a la sorcellerie ou est envoûtée. »  Des fans clubs ont commencé à être formés en son nom et des séances de prière à être organisées. Elle les dirigeait personnellement avec le soutien du père Vigan et  la  mobilisation des fidèles que l’évêque d’Abomey, Eugène Cyrille Houndékon n’appréciait pas. Il affecte alors le père Vigan à l’église de Dan, une localité située dans la commune de Djidja, dans le département du Zou, bien loin de Banamè avec interdiction au père Mathias Vigan de revoir Parfaite.  Au bout de quelques jours, selon  Gabriel Tobossou, Parfaite qui draine déjà du monde derrière elle, ira le rejoindre. Furieux, l’évêque d’Abomey interdit désormais les « Campagnes d’évangélisation non autorisées et les déviations sectaires de Parfaite et  de ses sympathisants » dans la juridiction où se trouve l’église Sainte Odile de Banamè. C’était le 20 janvier 2011.  « C’est le texte de l’évêque qui interdit à tout chrétien catholique de participer aux assemblées de Parfaite », précise Gabriel Tobossou. Dans la foulée, d’une manière déguisée, le père Vigan écope d’une nouvelle sanction. Il est rappelé en France pour d’autres missions. Sur le terrain, sa protégée continue de mobiliser du monde autour d’elle jusqu’à ce qu’il rentre précipitamment de la France et la rejoint. Ce qui fait dire à Gabriel Tobossou « qu’il est aussi contrôlé par Parfaite qui n’est pas encore guérie de ses ennuis démoniaques ». Face à cette situation, l’évêque d’Abomey prend une mesure plus radicale. Le 25 janvier 2013, Parfaite et le père Mathias Vigan sont tous deux excommuniés et renvoyés de l’église catholique. Par la suite, ils vont construire leur propre église dont le siège se trouve à Sovidji, un vaste domaine étendu sur une colline à quelques encablures de l’Eglise Sainte Odile de Banamè. Une église qui n’a rien à envier à l’église catholique romaine de par ses attributs et draine aujourd’hui une horde de fidèles.

Parfaite : la fille qui dérange l’église catholique

A quelques semaines de l’arrivée du Pape Benoît XVI au Bénin, l’église catholique est secouée par ce courant sectaire de «Parfaite». Ce thaumaturge mobilise des milliers de fidèles. Le vendredi 05 Août, au milieu de la grande salle du palais des sports du stade de l’amitié prise d’assaut par des milliers de fidèles et de curieux, une jeune fille, corpulence moyenne, vêtue d’une robe de pagne bleu à l’effigie des 150 ans du jubilé de l’évangélisation de l’Afrique, prêche : «Je vous délivre des esprits maléfiques. Vous avez appris que l’esprit saint viendra ici et vous êtes venus. Je vous en  remercie». Depuis 2008, la silhouette, encore longiligne, de cette jeune fille s’est faite plus présente dans l’esprit de milliers de chrétiens. Entrée dans la salle quelques minutes plus tôt, la jeune fille, était suivie d’une forte délégation. Les membres de son réseau aussi habillés en uniforme et  ne la quittent pas. Un dispositif de sécurité l’entoure et  des gardes de corps la tiennent toujours à l’œil. «Diminuez votre égoïsme. Les jeunes d’aujourd’hui sont trop agités. Vous vous attachez aux plaisirs de la terre et vous oubliez parfois l’existence de Dieu. Que la joie inonde votre vie», conseille Parfaite. Au milieu des prêches, elle lance une question : «que cherchez-vous en venant ici?»  Les murmures enflent dans les tribunes du palais des sports. Après quelques secondes de silence, elle reprend : «vous cherchez les miracles? Quel miracle cherchez-vous ? Et vous-mêmes, vous êtes quoi ? Vous êtes aussi des miracles. Regardez comment Dieu vous a créés aussi beaux. Si vous avez  la foi, vous aurez les miracles tous les jours», déclare-t-elle. Le prêche dura environ une heure mais vers la fin, Parfaite s’enflamma. Elle s’en prit ouvertement aux prêtres «Vos prêtres font les personnes importantes. C’est eux qui cultivent la chefferie, c’est eux qui cultivent la haine. Ne croyez pas qu’ils sont différents de vous. Tout ce que vous faites (de mal), ils le font aussi. Si vous allez à l’église et un prêtre commence à mal parler de Parfaite, laissez-le, faites votre signe de croix et rentrez chez vous», conseille Parfaite à la foule. Une fois le prêche terminé et la bénédiction donnée, le réseau s’occupa de la vente des gadgets: T-shirts, sel, chapelet, image… principale source de revenu de cette égérie spirituelle.

Un mouvement religieux sectaire et provocateur

Sans rien prendre au tragique, eu égard surtout à la Parole de Dieu et à l’histoire de l’Eglise, ce mouvement sectaire relativement fascinant d’une part, arrogant et surtout violent au niveau du discours d’autre part, nous interpelle cependant. Mouvement de provocation et d’irritation parce que bien des catholiques fidèles  en sont agacés et la redoutent à juste raison comme la peste au point que le seul nom de Banamè suscite chez eux une grande méfiance voire de la répugnance. Les croyants de cette église ayant à sa tête Parfaite ont été en effet pris à partie dans l’après-midi de ce mercredi 23 juillet 2014 par les populations à Godomey, juste à la descente de l’échangeur allant vers Calavi.

Cette altercation a éclaté en violents heurts entre ces fidèles de l’«Eglise catholique de Jésus Christ» de Banamè et les populations riveraines. Elle  revenait parait-il d’un voyage et comme d’ habitude, ils ont voulu provoquer la population de Godomey avec laquelle ils ont eu des précédents. Cet affrontement dont on ignore  les causes tant les premiers témoignages sont divergents, a fait de nombreux blessés dont plusieurs graves. Il a perturbé la circulation de ce côté de la ville de Cotonou où règne depuis l’éclatement des affrontements un brouhaha sans pareil. Il a fallu l’intervention de la Police qui d’ailleurs, a dû faire usage de tirs de sommation afin de disperser un tant soit peu la population pour faire revenir le calme. De même, le samedi 26 juillet 2014, le «Saint esprit » fait une sortie médiatique : « Le gouvernement vient d’interdire une messe de l’église de Banamè prévue pour se tenir au stade de l’amitié demain dimanche.  Tout était conclu ! Nous avions tout réglé quand le Directeur Général au stade nous appelle pour nous demander de venir chercher notre argent contre le reçu qu’il nous avait délivré un peu plus tôt »  a déclaré Parfaite.

La constitution béninoise dit que le Bénin est un pays laïc.  Le fameux génie béninois apaise pour le moment, les dérives de cette secte. Il va falloir que les gouvernants prennent leurs responsabilités afin de garantir cette quiétude religieuse préservée par les pères de la nation. Dieu est unique, la foi est personnelle.

 

 Armel Tagnon (AFIAVIMAG)

 

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