Tola Koukoui : Il faudra encore compter avec moi

 

« J’ai encore beaucoup à offrir à la culture de mon pays »

Dans l’univers du théâtre et du cinéma africain sa voix compte autant que son talent qui reste l’un des plus grands en Afrique francophone. Tola Koukoui, grand icône du théâtre béninois revient sur son parcours de comédien et de metteur en scène, sur la richesse des danses africaines notamment béninoises et sur le festival international du théâtre au Bénin (Fitheb). Si sa vision de la vie lui impose une certaine modestie en ce qui concerne son œuvre, il est tout évident que les créations de l’homme crèvent les planches et donnent à la postérité l’image d’un artiste hors-pair prêt à fédérer tous ceux qui ont la même passion pour la dramaturgie.

Vous êtes de ces hommes de théâtre dont l’immense parcours force le respect. Comment vous vous êtes construit une telle réputation ?

Je ne me suis pas du tout fait ici. J’ai commencé au départ par me faire tout seul à travers mes dispositions naturelles quand j’étais à l’école primaire chez les missionnaires à Dakar. C’est là que j’ai pris le virus du spectacle et de l’expression en public. C’est l’image que je garde des spectacles auxquels je participais quand j’étais écolier. C’est surtout les applaudissements, la joie que j’ai en jouant et le bonheur que je partageais avec ce public qui venait me voir jouer. Tout ceci a réveillé en moi l’envie de me montrer, de me révéler. Partout où j’étais je me donnais en spectacle. La 2ème chose en dehors de cette envie de rendre les gens heureux et d’être applaudi c’est qu’il y a eu un élément déterminant et c’est au Bénin que cela s’est passé. J’avais un professeur de français au collège qui trouvait que dans sa matière et surtout en rédaction j’avais une façon particulière de dire les choses, de les illustrer et que j’avais aussi une capacité à amuser la classe. J’amusais vraiment la classe et les camarades. Il m’a appelé un jour et m’a dit qu’avec mes notes et ma capacité à m’exprimer, je pouvais m’orienter vers l’art. Ce qui m’a beaucoup plu. J’avais 13 ou 14 ans quand j’ai fait ma première mise en scène avec Le cid de Pierre Corneille à l’ex Centre culturel de Porto-Novo, aujourd’hui Mison internationale de la culture. Je ne sais plus à quelle occasion c’était mais les responsables de l’école m’avaient donné carte blanche. Déjà à cette époque je pensais que je ne pouvais m’épanouir que si je ne pouvais en faire une activité principale parce qu’il n’y avait rien, aucune structure. Et puis il y a eu un miracle qui s’est produit. Il y avait un concours d’entrée à la marine française que j’ai passé et auquel j’ai réussi. Dès lors je me suis retrouvé en France en 1963. Voilà comment a débuté mon aventure. Pour moi c’était l’objectif, la marine était pour moi le point d’appui qui me permettrait de développer mes aptitudes théâtrales et c’est ce qui s’est passé six mois après. Sans l’avoir su j’ai trouvé une troupe au niveau de la marine. C’était un groupe de marins qui faisait du théâtre à Toulon. J’étais le premier marin noir à faire la demande d’intégrer la troupe et ça a pris. J’ai joué tout le répertoire français comme tout le monde. Ça me permettait d’assouvir mes envies théâtrales et dans le même temps j’ai su qu’il y a un conservatoire en arts dramatiques à Toulon. Pendant six mois j’ai préparé ce concours d’entrée au Conservatoire national d’arts dramatiques de Toulon. J’en suis sorti en 1966 avec le premier prix. Ma sortie correspondait avec la fin de mon contrat à la marine nationale. Mais j’étais tellement engagé dans le théâtre que je n’ai pas jugé utile de prolonger mon contrat avec la marine où j’étais spécialiste en transmission. La marine pour moi était un tremplin. Je me suis retrouvé à Paris où j’ai fait un autre concours. J’étais un auditeur puisque les étrangers n’étaient pas admis comme élèves au Conservatoire national de Paris. Tout en étant auditeur j’ai travaillé comme si j’étais un élève. J’ai joué dans les mises en scène. C’était tout de même un privilège d’être à la Comédie française. C’est ainsi qu’a commencé mon parcours. C’était un pain béni. J’ai beaucoup travaillé. J’ai énormément joué sur les planches. J’ai doublé les voix dans plus de 400 à 500 séries et plus de 1000 films. Ma carrière a effectivement démarré en 1966. Tout en étant élève j’ai commencé par travailler tôt.

Vous êtes un des fondateurs du Fitheb, racontez-nous la genèse de ce festival

Yves Bourguignon et moi étions amis de longue date ; nous nous sommes rencontrés en Côte d’Ivoire et, à cette époque, il était un technicien ou un responsable du Centre culturel Français  dans ce pays. Je l’y ai rencontré parce que j’y faisais un spectacle et on a sympathisé. A la faveur d’une tournée de la pièce « Les voisins » de James Sanders, j’ai retrouvé Yves au Bénin, en tant que Directeur. Acette époque-là, quand je présentais ce spectacle, il y avait un festival national de théâtre du Bénin, dont il m’a parlé et qu’il organisait avec Antoine Dadélé qui était Directeur de la Promotion et de l’action culturelle (Dpac), au Ministère de la Culture.

“ Donc, de nos discussions, après que Bourguignon m’a présenté à Antoine Dadélé, je l’ai félicité pour l’organisation du festival et j’ai proposé de faire une édition internationale de ce Festival et nous avons rencontré, à ma demande, le Ministre de la Culture de l’époque, Karim Dramane, à qui nous avons fait part de notre volonté d’alterner une édition nationale avec une édition internationale, du fait que j’étais internationalement connu et que cela pouvait faire du bien au Bénin. Ce Ministre a adhéré tout de suite à notre proposition et nous a donné carte blanche. Voilà comment a démarré le Fitheb qui a eu lieu en mars 1991 et, contre toute attente, cela a été le succès immédiat.

“ Ensuite, il fallait pérenniser le Festival ; je me suis battu seul parce qu’Yves Bourguignon n’était plus Directeur, Antoine Dadélé n’était plus Dpac. Donc, j’étais le seul des trois à demander l’institutionnalisation du Fitheb. Si, à l’époque, au départ d’Yves Bourguignon et, en l’absence d’Antoine Dadélé, je n’avais rien fait, je crois qu’aujourd’hui, le Fitheb n’existerait pas ; cette querelle, au jour d’aujourd’hui où, ceux qui n’étaient même pas là pour savoir qui étaient les pères fondateurs, elle n’a aucun sens ! Le Fitheb, aujourd’hui, existe, c’est l’essentiel ! J’insiste bien pour dire que, en 1990, il y avait un festival national ; le caractère international, c’est moi qui l’ai amené et c’est moi qui me suis battu pour que le Fitheb devienne ce qu’il est aujourd’hui. Je ne revendique rien !

“ En matière de démarches personnelles, j’ai surtout vu le Président Soglo parce que c’est lui qui a accepté de faire du cinéma Vog le siège du Fitheb ; c’était un homme de culture. Quand Marius Francisco, un autre Ministre de la Culture qui a servi sous lui, venait à Paris, je lui montrais les moutures des statuts que j’écrivais ; il fallait que quelqu’un s’accroche pour que ce Fitheb existe de cette manière, je l’ai fait et on ne peut pas me le reprocher ! La polémique des pères fondateurs n’est bonne pour personne, à moins d’être des concierges.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer le Théâtre Kaïdara bien qu’étant à l’époque assez sollicité ?

J’ai travaillé un peu partout dans le monde. En 1978, n’étant pas satisfait de la place qu’on accordait aux comédiens noirs j’ai décidé de créer ma propre compagnie. La place qu’on accordait aux blacks n’était pas valorisante. On ne faisait pas de la promotion pour ces comédiens bien qu’ils soient pour la plupart assez talentueux. C’est de cette situation qu’est né le Théâtre Kaïdara avec Lydia Ewan’dé et Julie Madola du Cameroun et Pascal Nzanzi du Congo. La première création de cette compagnie a été ‘’Sous l’arbre à palabres’’ d’après le Kaïdara de Amadou Hampaté Bâ et c’est de là qu’est né le nom de la compagnie. ‘’Kaïdara’’ est un récit initiatique peulh signifiant ‘’ à la recherche de la vérité’’.

Avez-vous le sentiment d’avoir atteint vos objectifs en épousant ce métier?

Non, je n’ai pas atteint mon but. Je suis sur le chemin et je suis presque sûr de ne jamais atteindre mon but puisque notre présence sur terre n’est qu’une étape. Et on ne peut prétendre atteindre un but quel qu’il soit quand on a pris conscience que sa vie sur terre n’est qu’une étape. Il faut tendre, me semble-t-il, à faire au mieux pour se sentir en harmonie avec les autres et soi-même. Donc, ne cherchez que le bien, en sachant que le bien est indéfinissable quand en s’arrêtant à la signification du mot on peut aussi engendrer le mal. Le mot engendre sa propre négation.

Le but n’est peut-être atteint mais votre parcours est l’un des plus éloquents du théâtre béninois.

Je suis sur le chemin et l’étape à laquelle je suis et qui est en adéquation avec ma quête du mieux pour moi et les autres se trouve concrétisée par mon partenariat ponctuel avec CFI auquel je souhaite trouver un prolongement dans la pérennisation d’un rendez-vous théâtral avec le public africain et mondial, pourquoi pas. Mon souci c’est de mettre en place une case théâtre sur au moins une période de cinq ans. J’ai exploré de façon professionnelle le chapitre de mes activités pour ouvrir la pratique du théâtre au monde et montrer notre capacité à vivre cet art. J’ai entraîné des congénères et ceci participe de mon parcours. Après 44 ans en France et une vie au service de l’art malgré les difficultés, je pense que c’est quelque chose mais n’étant pas un homme des bilans je ne sais quoi dire. Je n’ai pas le temps de faire des bilans mais j’ai la force d’avancer et puis ce n’est mon rôle de faire des bilans.

Quel regard portez-vous sur l’art théâtral au Bénin ?

En Afrique et particulièrement au Bénin, l’art théâtral évolue avec la modernité. Il se porte à merveille. Seulement il y a toujours un défaut de professionnalisme. Il va falloir prioriser la formation car la plupart de ceux qui exerce le métier aujourd’hui on apprit sur le tas. Il y a comme une réticence à aller vers le renforcement des capacités. Aussi  j’ai l’impression qu’on aime  stigmatiser ceux qui sont allés sous d’autres cieux pour acquérir la connaissance.  Cette génération qui a été à l’école et qui accumulé des diplômes à l’université sur le plan national, sans une spécialisation réelle,  s’est improvisée à partir d’un moment être transitaire, ou artiste, ou comédien dans les arts de la scène. Ayant conquis un public sur les podiums en participant à quelques événements théatro-cinématographiques, ils  pensent qu’ils sont spécialistes du domaine. Malheureusement c’est à ceux-là qu’on confie la gestion de la culture dans les pays africains.  Sans avoir la formation, même les fondamentaux, ils constituent la couche majoritaire qui décide de tout. Des gens comme nous, qui revenons au bercail, avons quelques difficultés. Il se susurre qu’on est vieux et qu’il faut laisser la place aux jeunes. Il y a comme un conflit de génération et la jeunesse ne veut absolument pas tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne. Du coup, nous perdons peu à peu la notion des valeurs. Il faut revenir à une façon plus juste de voir le théâtre, le cinéma, la danse, la musique. Il est nécessaire aujourd’hui de créer des structures efficientes permettant d’acquérir les fondamentaux du métier.  Des espaces de formations permettant un environnement favorable à de belles créations qui peuvent être représentées partout en Afrique.

Les hommes de théâtre retiennent de Tola Koukoui l’image d’un de ceux qui ont œuvré à l’avènement du Festival international de théâtre du Bénin (FITHEB). Avec le recul, avez-vous l’impression d’avoir marqué vos contemporains à travers la vie de cet évènement ?

Comme j’ai pris conscience que j’avais des aptitudes naturelles, je me suis donné les moyens d’être crédible en m’assurant des formations et en continuant d’en faire. Je serai toujours en formation jusqu’à la fin de mes jours. Le domaine dans lequel j’évolue ne vous permet pas de pauser et de dire « Enfin je suis arrivé ». Il ne saurait jamais y avoir des ouf dans ce parcours et dans cette quête. Il y a des choses concrètes en point de mire et toute chose ne peut se concrétiser que par des actes. Ceci ne saurait donc être pris pour une prouesse grandiloquente. Le Fitheb pour moi est un passage mais un passage que je revendique. C’est le festival qui m’a permis de reprendre pied au Bénin. Je me suis énormément appuyé sur le festival. Ce rendez-vous a quand même permis aux Béninois qui ne me connaissent pas de savoir qui je suis vraiment car je suis plus connu ailleurs qu’ici. Ça reste une très belle aventure même si le résultat n’est pas celui que j’aurais souhaité. L’évènement existe et mon nom y sera toujours lié. C’est mon bébé, je le revendique. Il souffre en ce moment et j’en souffre terriblement. Les gens lui font subir le martyr. J’ai l’impression que sur terre j’ai déjà vécu plusieurs vies et je n’ai pas fini. Ce n’est donc pas l’heure du bilan.

La dernière édition du Fitheb a lieu en décembre dernier, quelle est votre appréciation ?

J’ai eu la chance d’assister aux différents rebondissements dans l’organisation du Fitheb 2014. C’est déplorable tous ces scénari auxquels on a assisté. Cela pose le problème de la place qu’occupe la culture dans le plan de développement des nations africaines et de l’implication du politique dans ce domaine. Je n’ai pas grand-chose à dire à propos, malgré toutes ces péripéties, on a eu droit à de beaux spectacles. C’est la preuve que les esprits sont toujours en création. Les artistes ont de la volonté, ils ont de l’enthousiasme mais les politiques ne suivent pas. Les responsables en charge ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Il faut qu’on mette l’homme qu’il faut à la place où il faut. Je ne pourrai pas dire que c’est un échec mais le Fitheb souffre énormément. Cela porte du discrédit sur son caractère international.

Dans vos créations il vous revient d’exécuter des danses béninoises, africaines, que pouvez-vous dire les danses africaines et quelles peut être leur apport pour l’économie?

Il est indéniable que la richesse au niveau de nos danses est énorme. Dans les années 60, le Théâtre National dahoméen a eu le premier prix à un festival mondial. Flavien Campbell,  Directeur de l’ensemble artistique du Bénin en France a obtenu le premier prix à l’exposition universelle. Nous n’avons malheureusement pas su exploiter cet acquis. Mais actuellement il y a un conservatoire des danses cérémonielles dirigées par le Prof Bienvenu Akoha qui essaye de perpétuer ces richesses qui en voie de disparition. Il leur revient de donner une vision à ce projet pour qu’il devienne  une industrie culturelle. Au Sénégal par exemple le Saba a été visité par tous les chanteurs sénégalais. De sortes que dans toute l’Afrique, le Djembé sénégalais avec le rythme Mbala, continue de faire des émules. Pareil en Côte-d’Ivoire pour le Zouglou et cette danse inesthétique du Congo qui a parcouru toute l’Europe et l’Afrique. Chez nous au Bénin, c’est extraordinaire de voir les danses du Nord qui fonctionnent essentiellement avec un rythme martelé par les pieds, c’est-à-dire de la hanche en bas avec tous les artifices. Un tour à Abomey (Ville au Sud du Bénin), il existe des danses qui s’exécutent avec le buste, un déhanchement esthétique. A Porto-Novo (Capitale du pays), le Kaka, (instrument musical fait à base de bambou).Dans le Mono et le Couffo, (Départements du Sud du Bénin) le Agbadja, une danse est fabuleuse que nous partageons le Togo voisin. Tout cela peut nous fais gagner de l’argent. Mais pour ça, il faudrait créer une structure avec des gens qui apprennent à nos jeunes artistes, les fondamentaux de ces danses. Nous pourrions parcourir le monde, nourrir une cinquantaine de personnes faire rentrer des devises pour le pays. Le monde entier n’attend que ça. Je ne suis pas de passage, je suis résident donc je peux me permettre de critiquer certaines choses que je constate.Mais rassurez-vous je travaille à ma manière pour l’émergence d’un théâtre, d’un cinéma et danses africains rayonnants.

De loin vous donnez l’image d’un homme assez sophistiqué et effacé?

Je suis un homme public et un homme public donne toujours le sentiment qu’il a des zones d’ombre car tout le monde veut savoir tout de vous. Or je suis le dernier à savoir tout de moi. Donc je ne peux pas donner ce que je n’ai pas. Je crois que le meilleur moyen c’est de se rapprocher de ceux qui ont l’habitude de travailler avec moi pour savoir qui je suis. Ces derniers avaient également ce sentiment mais ils ont fini par m’avouer qu’ils s’étaient trompés. Le maître contrairement à ce que l’on croit n’est inaccessible et ceux qui me voient au quotidien ne vous diront pas le contraire. Je suis d’une simplicité infantile. Je m’écoute parler et je parle toujours avec le cœur. Nous sommes égoïstes dans notre métier, mais je suis un égoïste qui partage. C’est pourquoi je ne suis pas en contradiction avec moi-même. J’aime la scène et je prie de mourir non pas dans ma chambre, mais sur une scène.

Vous êtes bien connu du public culturel mais l’on sait peu de choses sur votre vie privée ?

J’ai six enfants dont deux garçons et quatre filles. Je ne vis ici au Bénin qu’avec ma plus jeune fille. Tous les autres sont en France. Ma vie côté jardin est comme mon côté cour. L’homme public, l’artiste que je suis ne fait pas exception à la tradition. Dans notre milieu il est difficile d’avoir une famille comme on l’entend. Tous mes enfants sont des étapes dans ma vie et ils se connaissent tous ; ils s’aiment tous et le ciment c’est moi.

 

Armel Tagnon (AFIAVIMAG)

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