Présages et divination

Les communautés traditionnelles africaines en général vivent au rythme des présages.
Chaque peuple dispose d’un répertoire d’évènements inhabituels ou de signes
apparemment anodins mais qui préoccupent parce qu’ils annoncent d’autres
évènements. Des symboles qui tiennent lieu d’instrument de communication avec les
ancêtres et les divinités.

Les présages sont des réalités spécifiques à chaque aire culturelle

En pays Guin au Togo, l’évènement le plus important de l’année est la prise de la pierre
sacrée, celle qui prédit de par sa couleur les destinées de la localité pour la nouvelle année.
Elle peut être verte comme cette année 2008, pour annoncer la prospérité et l’abondance,
rouge signe d’effroi et de grincement de dents, bleu ciel ou blanche symbole de quiétude et
de paix. Chez les peuples Ewés qui peuplent le sud du Ghana, du Togo et du Bénin, le plus
redoutable des signes précurseurs est l’apparition d’un rat palmiste de jour et dans un lieu
public parce qu’il présage une terreur : une épidémie mortelle ou une catastrophe
épouvantable. Dans d’autres régions, l’apparition d’une étoile filante donne des sueurs froides
aux chefs parce qu’elle annonce une fin de règne.
La croyance en des faits à caractère prophétique est une pratique aussi ancienne. Elle est
fondée sur des expériences vécues par les hommes dans leurs relations avec leurs divinités.
Un signe précurseur peut être un rêve, une apparition, un fait spectaculaire comme une éclipse
ou une chose ordinaire.
Pour qu’un rêve tienne lieu de présage, le contenu du message onirique de même que le statut
social du rêveur sont pris en compte. Les songes d’un enfant n’auront pas la même
considération que ceux d’un initié ou d’une autorité traditionnelle.
En Afrique, tout phénomène inhabituel est considéré comme matière à questionner et peut
devenir un nouveau présage. Autant dire que les listes de faits reconnues comme tels ne sont
pas figées. Les apparitions et les phénomènes de transe sont considérés comme des moyens
d’expressions des dieux et traités avec beaucoup plus d’attention.
Une caractéristique tout autant importante des présages est qu’ils varient selon les localités.
Des faits admis comme présage dans une région peuvent ne pas l’être dans une autre. Un
exemple : la perdrix est un oiseau sauvage dont la chair est très prisée au Togo, sauf
dispositions particulières. Au sud du pays, le fait pour cet oiseau de survoler un village ou
encore de s’approcher d’une habitation est un signe de mauvais augure. Par contre, dans la
région septentrionale, ce fait n’a rien de dramatique.
Les présages sont des réalités spécifiques à chaque aire culturelle. Ils suscitent chez tous les
peuples, la même inquiétude et la même réaction : le recours à la divination pour en savoir
plus.

Importance de la divination

Les présages inquiètent parce que même lorsqu’ils annoncent un évènement heureux, selon
les garants des pratiques ancestrales, ils nécessitent pour leur concrétisation une amande
honorable faute de quoi, ils pourraient se retourner à termes contre les bénéficiaires. Les
signes précurseurs tiennent lieu de langage codé entre les hommes et la nature. Ils constituent
une arme de prévention contre les malheurs, d’accélération et de perfection du bonheur. Pour
comprendre dans les détails ce langage, il faut nécessairement s’attacher les services des
interprètes que sont les prêtres traditionnels qui maîtrisent l’art divinatoire. Les circonstances
de la réalisation de l’évènement probable et les dispositions à prendre en vu de la résolution
du problème annoncé par un présages ne sont pas fortuites. Elles sont définies par la source
même du signe perturbateur, c’est à dire les dieux.
Il arrive aussi que ces signes ne soient accessibles qu’à une minorité d’initiés liés par les
secrets de l’initiation. Dans ce cas, ils ont l’obligation de faire un signe à l’endroit de la
communauté ou aux autorités traditionnelles en sorte de les exhorter à aller vers d’autres
devins. Dans certains couvents, on procède par fumigation. D’autres font résonner des
percussions spéciales. Ils peuvent également tout simplement prévenir qu’il y a une menace.
Le temps pour les personnes averties de procéder à des consultations publiques avec la
participation de tous les praticiens de l’art divinatoire disponibles en vu d’éplucher les
différentes facettes du signe annonciateur.
Certains présages n’impliquent pas nécessairement une consultation parce que les évènements
qu’ils annoncent se réalisent sans délai et sont sans gravité. Deux coqs qui se battent à la
devanture d’une maison en pays éwé annoncent des visiteurs inattendus dans les heures qui
suivent. Un voyageur qui rencontre sur son chemin soit un serpent qui tient dans sa gueule un
crapaud, soit une tourterelle morte, soit encore un rat palmiste doit rebrousser chemin.
Par contre, lorsque le signe augure une infortune, même inéluctable, la consultation s’impose.
C’est le cas d’un régime de noix de palme qui se détache dans une maison ou en devanture. Il
annonce un deuil dans les jours à venir. Une musaraigne qui fait de jour son apparition dans
un commerce ou une activité florissante présage l’imminence d’une faillite.
Des tourbillons qui se suivent dans un ordre donné ou des vents impétueux qui se répètent à
intervalles réguliers expriment la colère des dieux pour cause de violation d’une interdiction
et présage une pandémie ou une peine collective (incendie, inondation, sécheresse…)
Les symboles, même lorsqu’ils annoncent un évènement inéluctable et appellent à la
résignation, ont le mérite d’amortir le choque psychologique occasionné par désastre.
Présages et scepticisme

De la nature du présage et de son interprétation dépendent les réactions. Selon que
l’évènement attendu est bénéfique, on procède à des invocations et à des implorations
susceptibles de hâter son arrivée. Ainsi, lorsqu’un coq blanc se met à chanter de jour au beau
milieu d’une maison, symbole d’une victoire certaine, on procèdera à des sacrifices de
reconnaissance envers les dieux mais aussi de protection pour la famille. Le mauvais sort par
contre sera conjuré conformément à la coutume. Une coutume de nos jours mise à mal par le
christianisme, les religions importées vers le continent et la science moderne qui font des
présages une superstition. De fait, ces valeurs culturelles nouvelles ont réussi à entamer la
prépondérance et la réputation des signes précurseurs. Alors que jadis, la cohésion était
parfaite pour résoudre les énigmes des présages, des résistances sont organisées à dessein de

nos jours pour contrecarrer les initiatives visant la pérennité de cette tradition. Les tabous sont
de plus en plus banalisés avec pour conséquence la recrudescence des désastres sur le
continent. C’est du moins la réponse de certains anciens à ceux qui les interrogent sur la
question.
Ils résument la situation de l’homme africain actuel dans cette allégorie baptisée « l’infortune
du palmier. » et transcrit comme suit :
Le palmier et le rônier étaient des frères dans le royaume de Dieu à la création. Au moment
de les envoyer en mission sur terre, le créateur les exhorta à se conformer à certaines
prédispositions en sorte de se payer un séjour tranquille. Le rônier plutôt attaché à ces
longues nervures a choisi en toute sagesse de peupler la savane loin des habitations pour se
préserver contre l’action humaine. Dieu le mis en garde contre les feux de brousse en saison
sèche. Il accepta en toute humilité sa mission. En contrepartie, il hérita d’une haute taille. Le
palmier pour sa part décida d’habiter la forêt parce que prétexta-il, la saison sèche
éprouverait ses nervures trop belles. Dieu le conseilla alors de les ajuster en sorte que le
paysans pour ses besoins ne le face à sa place. Il s’opposa à cette suggestion. Seulement sous
le soleil, il fut vite rattrapé par son effronterie.
Les années passèrent et à force de prendre de la taille, les nervures du rônier furent
préservées contre les feux de brousse, seul son tronc était exposé. Au même moment, le
paysan pour protéger ses jeunes pousses de légumes contre l’humidité produite par les trop
belles et trop grandes nervures du palmier, les tailla, au grand désespoir de ce dernier.
Depuis ce jour, le palmier se confond en lamentation à chaque fois que la hache du paysan
s’approche de ses nervures et il regrette de n’avoir pas écouté son créateur.

Akouvi E. Agbokou (Afiavimag)

Leave a Comment