Ryan Kwamé : « Je suis tombé amoureux de la ville de Bordeaux et j’aspire à y rester encore plusieurs années »

 

 

Ryan Kwamé est un musicien remarquable être marqué. Chef de l’Orchestre National de Bordeaux en Aquitaine depuis deux saisons, il dresse un premier bilan sur son aventure bordelaise. Entre ses diverses fonctions, ses coups de cœur pour la ville du Port de la lune et ses projets à venir, le natif de Trinidad et Tobago s’est livré à Afiavi Magazine.

AFIAVI : Mr Ryan, vous êtes chef d’orchestre de l’Orchestre National de Bordeaux en Aquitaine (ONBA) depuis deux saisons. Comment jugez-vous votre travail ?

Kwamé Ryan : C’est toujours très difficile de donner un avis sur son propre travail. Cependant, je suis content de ce que j’ai réalisé au cours de ces deux années. Nous avons enregistré deux CD dont je suis satisfait et l’orchestre a réalisé une tournée au Japon et en Suisse. Nous nous préparons désormais à l’ouverture du nouvel auditorium, dans deux ans. Entre temps, nous avons le projet d’élargir les horizons de l’orchestre de Bordeaux hors de France, afin qu’il s’internationalise.

En plus de votre fonction principale, vous avez été nommé directeur musical de l’Orchestre français des jeunes. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est quelque chose de très important pour moi. J’avais effectué la formation nécessaire au National Youth Orchestra of Great Britain quand j’étais adolescent. Alors dès que j’ai eu l’opportunité de mettre en place cette formation, j’en ai vraiment été très heureux. Nous avons effectué notre première tournée fin août, et cela m’a beaucoup inspiré. C’est une bonne expérience qui offre un travail avec des jeunes, des musiciens doués, au début de leur carrière. Ce qui est exceptionnel, c’est qu’ils font tous cela par amour et non pas pour gagner leur vie.

Comment est perçue la musique classique dans votre pays d’origine, Trinidad et Tobago ?

A l’époque où j’y ai grandi, on n’écoutait pas beaucoup de musique classique. Le genre de musique le plus populaire est le calypso mais c’est un pays très cosmopolite, très multiculturel, où, à la radio l’on peut écouter de la pop, de la musique indienne, de la musique africaine… C’est une société qui mettait en scène, à l’époque, un opéra par an. A présent, le pays est devenu plus ambitieux et ils sont en train de construire un très beau hall de concert et de créer un orchestre qui va recruter au niveau international. C’est un projet sur lequel je vais travailler avec Trinidad dans les années à venir.

Etes-vous vu comme une star dans votre pays d’origine ?

Je ne dirais pas ça. Je pense que beaucoup de gens savent ce que je fais. Mais la branche dans laquelle j’évolue n’est pas quelque chose qui passionne les gens. Dans mon pays, les choses auxquelles les personnes s’intéressent le plus sont plutôt le football, le cricket ou encore la musique pop…

Vous vous êtes mis très jeune à la musique. A partir de quel moment vous êtes-vous dit qu’il serait possible d’en faire votre métier ?

J’ai décidé que je voudrais être chef d’orchestre très jeune, à l’âge de six ou sept ans. Mes parents m’ont toujours soutenu dans ce choix. C’est pour cela que j’ai quitté Trinidad à l’âge de quatorze ans pour m’aguerrir en Angleterre. C’est toujours quelque chose que j’ai supposé possible pour mon futur. Je n’ai jamais accepté l’idée que je ne devienne pas chef d’orchestre un jour.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre fonction. Combien de musiciens dirigez-vous et quelles sont vos préférences ?

Je dirige entre 40 et 90 musiciens, l’instrument le plus représenté étant le violon. Il y en a environ 30 dans un orchestre et cela se limite à 12 dans un orchestre baroque, par exemple. Etant bassiste, je joue de la contrebasse et j’ai, par conséquent, une affinité particulière pour travailler avec les instruments à cordes. C’est tout simplement plus naturel pour moi. Maintenant, après tant d’années d’expérience, je dirige tous les instruments à valeur égale.

Avez-vous connu des difficultés de part votre couleur de peau pour en arriver là ou vous en êtes aujourd’hui ?

Non, comme je l’ai dit, mon pays natal est très cosmopolite avec beaucoup de métissage. J’étais conscient du racisme mais mon parcours s’est fait dans une école privée en Angleterre, puis à l’université de Cambridge ce qui m’a évité quelques déboires je pense. Ensuite, j’ai directement intégré la profession dont j’avais rêvé et cette dernière m’a peut-être préservée des expériences que j’aurais pu avoir, car j’étais dans une communauté bien éduquée et habituée aux gens de races et de couleurs différentes.

Que représente Peter Eötvös à vos yeux ? Si vous ne l’aviez pas rencontré pensez-vous que vous auriez effectué le même chemin ?

Il a été mon premier et seul professeur. Puisqu’il est compositeur, il m’a appris non seulement la technique pour diriger un orchestre, mais il m’a aussi appris la façon dont on compose, les couleurs des instruments et comment il faut les utiliser pour créer des émotions toutes aussi différentes les unes que les autres. Je pense que c’était l’aspect le plus important de notre relation. Sans Peter, je ne me serais probablement jamais intéressé à la musique contemporaine. Si je suis ce que je suis devenu aujourd’hui je le lui dois en très grande partie.

De toutes les salles dans lesquelles vous avez joué, si vous ne deviez en choisir qu’une laquelle serait-ce ?

Je dirais que l’Opéra le plus important concernant l’architecture est celui du « Main Hall » à Tokyo qui est le Forum International de la ville japonaise. Mais celui qui m’a procuré le plus de sensations, du point de vue acoustique, c’est le « Birmingham » dans la ville du même nom.

 Et le plus beau pays que vous avez visité et celui que vous regrettez de ne pas avoir encore fait ?

Déjà je tiens à signaler que je suis originaire d’un très beau pays et qu’il fait partie de mes préférés ! Quant au plus beau que j’ai visité et dans lequel j’aimerais revenir il s’agirait sans aucun doute du Japon. Concernant mon regret, je désire vraiment me rendre en Nouvelle-Zélande…

Que pensez-vous de la ville de Bordeaux ?

Dès mes premiers jours dans la capitale girondine, je suis tombé amoureux de la ville. J’ai eu très rapidement le sentiment que ce serait un endroit dans lequel j’aimerais passer beaucoup de temps. Les gens sont très accueillants et le climat me plaît beaucoup. De plus, la ville a de vraies ambitions culturelles, ce que je soutiens vigoureusement. Evento, pour lequel j’ai dirigé deux concerts les 9 et 18 octobre en est le meilleur exemple. Ce sont des projets comme cela que j’apprécie en tant qu’artiste.

Après vos vacances en juillet et août, quel est votre programme pour l’année à venir ? Vos deux fonctions cumulées ne vous prennent-elles pas trop de temps ?

C’était des demi-vacances. En juillet je me suis reposé. Par contre, en août, je travaillais sur l’orchestre des jeunes. Je vais diriger une douzaine de concert cette saison, le premier ayant déjà eu lieu à Evento. Ensuite, nous allons, avec l’ONBA, enregistrer les concertos de piano de Beethoven avec Shani Bileca. Enfin à l’Opéra, je vais diriger un opéra de Peter Eötvös qui s’appelle « Le Balcon », basé sur la pièce de théâtre de Jean Genet. Cela donne un programme assez chargé mais quand les projets sur lesquels on travaille passionnent, on vit avec l’énergie de ce dernier. Les projets usent de l’énergie mais ils en donnent aussi !

Vous avez prolongé d’un an votre contrat au sein de l’Orchestre National de Bordeaux en Aquitaine. Il vous reste donc deux années de travail. Jusqu’à quand vous voyez vous à Bordeaux ?

La saison à venir sera ma troisième d’un contrat qui en comporte quatre. Après je n’ai pas l’intention de partir avant l’ouverture du nouvel auditorium prévue en 2011. Alors je vais rester au moins jusque-là. Pour l’instant, je concentre toute mon énergie sur l’orchestre.

Propos recueillis par Clément COYRAL (Afiavimag)

(Article paru 2009)

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